Hello There !

Je sais, j’avais dit dans mon bilan que je ne finirais pas ce livre avant un bon moment, et puis la semaine dernière on m’a offert Après, sa dernière parution en poche, et je me suis retrouvé atteint à nouveau de Kinguite aigu. Est-ce grave ? Et bien, si on considère que j’ai fini Carrie en une soirée alors qu’il m’en restait une bonne moitié, oui ça doit l’être.

Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Steve sur le blog. Il est probablement l’auteur que j’ai le plus chroniqué ici, avec pas moins de 11 parutions déjà – dont un article 4 en 1. Au cas où vous ne le sauriez pas, tout a commencé ici avec lui et tout finira potentiellement avec lui aussi. N’empêche qu’il n’en finit pas d’écrire et qu’avec 75 ans au compteur et presque autant de romans je n’arriverai probablement jamais à tous les chroniquer. Néanmoins, il nous faut essayer. Comment ça je viens de me mettre un défi tout seul, là, en écrivant et réfléchissant à l’implication de ma phrase ? Possible, c’est tout à fait mon genre. Vous savez, comme « Mac Fly » dans Retour Vers le Futur – « Personne ne me traite de mauviette » –, ou celui qui tout seul, parfois bêtement, se lance des défis devant tout le monde et après se sent obligé de les tenir. Dans mon cas, la plupart du temps c’est juste pour voir si j’en suis capable, ou encore examiner ce que ça pourrait donner. Le hic, c’est que j’aime bien relire mes autres articles sur le King avant d’en rédiger un nouveau afin de ne pas être redondant et que vous ayez toujours un truc à apprendre sur ma relation avec Steve, ou sur lui tout simplement, mais à ce rythme, à chaque fois que je rédigerai une revue, je vais me retrouver avec plus d’articles de blog à lire que de mots à écrire. Quoique.. Je suis comme lui, je suis verbeux. J’aime bien m’écouter parler.

Pourtant pour une fois, le livre que je vais chroniquer est court, diablement court pour du King. Il s’agit de son premier roman, celui du succès, déjà, rien que ça : Carrie.

Quatrième de couverture :

Carrie White, dix-sept ans, solitaire, timide et pas vraiment jolie, vit un calvaire : elle est victime du fanatisme religieux de sa mère et des moqueries incessantes de ses camarades de classe. Sans compter ce don, cet étrange pouvoir de déplacer les objets à distance, bien qu’elle le maîtrise encore avec difficulté… Un jour, cependant, la chance paraît lui sourire. Tommy Ross, le seul garçon qui semble la comprendre et l’aimer, l’invite au bal de printemps de l’école. Une marque d’attention qu’elle n’aurait jamais espérée, et peut-être même le signe d’un renouveau ! Loin d’être la souillonne que tous fustigent, elle resplendit et se sent renaître à la vie. Mais c’est sans compter sur la mesquinerie des autres élèves. Cette invitation, trop belle pour être vraie, ne cache-t-elle pas un piège plus cruel encore que les autres ?

Il était une fois…

Je crois que tout le monde connait la petite histoire de la genèse du livre mais, au cas où, je m’en vais vous la conter. Il était une fois le couple King qui à l’époque n’est pas riche. On pourrait même dire que c’est la misère. Ils vivent dans une caravane avec leurs deux enfants et Stephen cumule les jobs pour payer les factures, il est gardien et pompiste la nuit, employé d’une blanchisserie industrielle l’été et professeur d’anglais le reste du temps. Sa Buick tombe en ruine et lorsqu’il doit téléphoner, il court à la cabine téléphonique la plus proche. Il désespère de vivre de l’écriture, son rêve. Il vend bien quelques nouvelles à Cavalier, un magazine de charme, mais à vingt dollars chacune d’elle on ne peut pas dire que c’est la gloire.

Et puis un jour, un courier du lecteur le met au défi : “Vous écrivez toutes ces choses machistes, mais vous êtes incapable d’écrire sur les femmes. Les femmes vous effraient.” Ni une ni deux, coincé entre sa machine à laver et son sèche-linge, une clope au bec, Steve commence à rédiger sur sa vieille machine à écrire le début d’une histoire inspirée de deux filles de son lycée qui étaient la risée de tous : l’une d’elle avait une mère fondamentaliste et possédait un crucifix grandeur nature dans son salon quand l’autre était la cible des garces de l’école à cause de sa tenue vestimentaire. Seulement après trois pages, il ne trouve pas ça convainquant et jette le tout dans la corbeille, préférant aller boire une bière au bar du coin.

And the rest is history.

Alors qu’elle fait le ménage, Tabitha King trouve dans la poubelle de son mari, sous un tas de cendre et de mégots Pall Mall, non pas une fée magique de la corbeille, mais trois feuilles roulées en boule qu’elle déplie pour lire. Lorsque Steve rentre le soir du travail, Tabby lui montre les feuilles froissées et lui dit qu’il tient quelque chose et qu’elle peut l’aider, notamment à comprendre la psychologie féminine. Elle l’encourage à continuer. Elle va l’aider à rédiger la fameuse scène d’introduction de la douche ainsi qu’à nuancer certaines réactions, le renseigner sur les rapports entre filles à l’adolescence et sur leur … enfin vous voyez.

Neuf mois plus tard, – oui comme dans les contes de princesse – Carrie est née. Après le refus d’une trentaine de maisons d’édition, Doubleday finit par accepter le roman pour 2500 $ et le publie le 5 avril 1974 à 30 000 exemplaires, dont 13 000 sont vendus la première année. Le roman sort en édition de poche l’année suivante et se vend à plus de 1 300 000 exemplaires en moins d’un an. Très vite, les droits sont cédés pour une adaptation au cinéma, avec un chèque de 400 000 $ à la clé. Sa carrière est lancée. Carrie sortira en France en avril 1976 et sera traduit par Henri Robillot.

Il parait que derrière chaque grand homme se cache une femme. Une chose est sûre, Carrie c’est bien un bébé fait à deux dans une caravane. Sans sa femme, Steve ne serait peut-être pas Roi, il ne serait peut-être même plus de ce monde à mon avis. Alors comme King qui l’a remercie dans la préface, je tiens à mon tour à dire : Merci Tabby, merci pour toutes ces magnifiques heures passées en compagnie de votre mari.

Mon avis :

Mais trève de petites histoires, parlons de ce que j’ai pensé de celle-ci. Stephen King dit lui-même qu’il ne trouve pas le roman génial, que ce n’est pas son meilleur. Si je me réfère à ma première lecture du roman il y a .. ouch déjà, presque 30 ans, je lui donne raison. À l’époque, j’avais déjà lu Simetierre, Le Fléau, Ça, et forcément ce livre n’avait pas eu la même force évocatrice pour moi que tous les précédents. D’autant plus qu’il traitait d’une sujet totalement informe pour un adolescent de 16 ans : les femmes et leur… complexité, on va dire, avec tout ce qui va avec… enfin, vous voyez. Déjà en proie avec mes propres hormones comment j’aurais pu comprendre celles des filles et tous ces petits jeux mesquins entre elles ? Pour autant, la fin m’avait plu avec toute cette débauche de violence sur fond de vengeance, un truc au fond bien masculin pour un ado de 16 ans dans les années 90.

On ne va pas raconter l’histoire en elle-même, elle est souvent connue, déjà par le statut iconique du livre puis par le film de Brian de Palma. Cette relecture a été très différente pour moi, je l’ai beaucoup plus appréciée que la première. Je l’ai même carrément aimée. L’expérience des années, ma connaissance plus profonde de la structure d’un récit et mes hormones en moins m’ont permis de mieux comprendre les personnages et les intentions de Steve. J’ai vraiment savouré certaines séquences, comme la scène d’introduction ou toute la deuxième partie du livre qui, pour un jeune auteur, est quand même diablement maîtrisée. Laissez-moi vous dire ce que j’ai retenu de tout ça.

Tout d’abord le style et la forme. Par rapport à ses romans plus connus il est ici plus direct, concis. Comme toujours, son récit s’ancre dans le réel à partir d’éléments quotidiens, à l’aide de marques, ou des références culturelles, chansons, émissions de TV. pour le coup ça peut paraitre un peu démodé, mais comme d’autres auteurs avant lui, il laisse une trace de son époque, il dresse un portrait saisissant de son Amérique. Il adopte également une forme originale. Pas inexistante au niveau de la littérature mais peut-être surprenante pour un premier roman : le texte est entrecoupé d’extraits de livres, d’articles de journaux – on ouvre même par ça – de passages d’un rapport de commission, nous dévoilant, bien avant son terme, la fin du roman. King est un adepte de la prolepse, ce procédé qui consiste à faire un bon dans le temps du récit afin de révéler un élément par anticipation. Il le fait généralement en une phrase bien placée en fin de chapitre. Cela crée un certain suspense, une tension, une attente subconsciente. Comment ? On ne lit plus totalement pour connaitre la fin mais pour savoir ce comment, le voyage et non la finalité pour motivation. Il l’utilise à outrance dans tous ses romans et moi j’ai toujours trouvé ça cool. Ici, c’est par le biais de ces extraits que nous savons quasiment dès les premières pages ce qui va arriver. Mais on ne sait pas comment. J’ai lu par-ci, par-là, que certains avait été gênés par cette narration, je peux l’entendre, d’autant qu’il n’y pas une grande mise en page ou une typographie spécifique pour séparer ces extraits de la narration traditionnelle. Pour ma part, ça ne m’a pas dérangé, au contraire, je trouvais que ça donnait des respirations à l’ensemble, mais surtout que ça relançait l’histoire grâce à un point de vue différent. Et puis ça donne beaucoup de profondeur au tout, encore une fois une sensation de réalisme. Un style et une forme originale maitrisés pour une première, sa patte apparaît déjà, plus timide que d’habitude peut-être, mais n’en voulez pas à un jeune premier qui participe à son premier bal, il a de quoi animer la soirée si vous lui en donnez l’opportunité.

La maturité des problématiques abordées est indéniable. Bien sûr, tout le monde ne lit pas pour décortiquer une oeuvre, ne se pose pas systématiquement de questions, préférant juste apprécier une histoire pour ce qu’elle est : une histoire. Et ce livre peut être lu comme tel, comme souvent chez King d’ailleurs. Mais il serait dommage de passer à côté de ce qui fait le sel de son oeuvre : la critique. Parce qu’au travers de ce qui bien souvent est une histoire de gens ordinaires, vivant des histoires extraordinaires, au milieu de l’Amérique profonde, Steve en profite pour nous faire réfléchir à notre fonctionnement social, aux dérives de notre monde.

Coutumier du système scolaire par son métier et sa formation, il est bien placé pour écrire sur la place des adultes dans les milieux éducatifs, et ce qu’il nous livre ici est sans appel, ils ont failli. Tous. Ils n’ont pas su gérer la situation, ni la comprendre d’ailleurs. Sont-ils coupables ? Difficile à dire, parce qu’il ne les blâme pas, se gardant bien d’affirmer qu’on ferait mieux. Cela renvoie à un drame récent dans les Vosges, pas loin de là où j’ai grandi et été au lycée avec mon King dans la poche, et même si la ville n’a pas brûlé comme dans Carrie, une vie a été perdue par manque d’écoute et d’inaction. Aurions nous fait mieux ? Je me garde bien de l’affirmer. Les enfants sont-ils les vrais coupables ? Franchement, peut-on estimer un enfant totalement responsable de ses actes ? Nous, adultes, ne sommes-nous pas là pour guider, conseiller, gérer, encadrer, éduquer ? Facile à dire, moins évident dans les faits. Car l’éducation, ce n’est pas que l’école, ce sont aussi les parents. Là encore, King va se faire une joie d’en parler. Entre Margaret White, la mère religieusement fanatique de Carrie ou le père de Chris Hargensen, un avocat qui passe tout à sa fille grâce à son argent et ses relations, le Roi nous offre des personnages plus que réels et bien caractérisés avec des thèmes forts dont l’influence sur leurs progénitures est fatale.

Parce que Carrie, c’est une critique violente de la religion, de l’immobilisme, de l’étroitesse d’esprit, du fanatisme. Ce premier roman dévoile déjà ce qu’il sait faire de mieux : camper des personnages à la psychologie complexe mais tout à fait plausible. Les personnages féminins sont à l’affiche comme pour répondre au défi lancé, et ce ne sont pas que des saintes, c’est le cas de le dire. Mention spéciale à Margaret White et Chris Hargensen qui sont même des femmes fortes, bien qu’excessives et détestables en tout. Et que dire de Carrie ? Il nous offre ses émotions, ses attentes, ses peines avec une profonde sincérité, visant juste. Si on a un peu d’empathie, on ne peut qu’être de son côté à la fin, même si beaucoup d’innocents vont mourir par sa faute… ou par celle des adultes, sa mère en tête ? Au travers du pouvoir de Carrie, King nous envoie un message : méfiez-vous qu’un jour ces gens rabroués, mal-aimés, moqués ne se trouvent pas en position de pouvoir, méfiez-vous que vos méfaits ne se retournent pas contre vous, dans la colère et le sang. Il est presque normal que Steve ait choisi un pouvoir psychique comme élément fantastique pour son roman, lui à l’imaginaire télékinésique capable de déplacer des montagnes, et de nous transporter au dessus de l’arc en ciel – Hello Dorothy.

Son sens de la mise en scène éblouit le lecteur dans la deuxième partie du livre. Le contraste paillettes/strass et destruction est un pur moment de littérature. Les effets pyrotechniques sont top ! Il y met tout ce qu’il aime, écrivant sur ce qu’il connait le mieux – un de ses conseils –, les voitures rafistolées, la musique Rock, et surtout du sang. Ce sang de l’alliance nouvelle et éternelle.. vous avez la ref ? Car oui, tout du long le rouge recouvre les pages, il est là au début avec la scène des douches, il l’est encore dans les seaux renversés, sur le doigt coupé de Margaret, sur le christ crucifié dans le salon des White, sur le doigt de Carrie lorsqu’elle se blesse avec la mine du crayon, il est l’incarnation de la vie mais aussi de la mort. Il y a plein de subtilité à son sujet, révélant à quel point, Steve est déjà un grand auteur aux qualités narratives incroyables et pas juste un écrivain populaire sans style.

Conclusion

C’est un très bon premier roman en fait, meilleur que dans mes souvenirs. Les personnages, les thématiques, la forme, le style, le tout en 288 pages, sont parfaitement maîtrisés. Aurais-je vu tout ça dans le livre à 16 ans ? Certainement pas ! Est-ce que ça valait le coup de le lire si jeune ? Bien sûr que oui ! Il est le tout premier auteur à m’avoir interrogé, même si je ne pigeais pas tout à l’époque par manque d’expérience. C’est peut-être pour ça que j’ai apprécié cette relecture presque 30 ans après. Parce qu’aujourd’hui j’y vois plus qu’une histoire, j’y vois de vrais sujets que je comprends parce que j’ai pu franchir ce cap difficile de l’adolescence sans trop de bosses, grandir et vieillir. Carrie est pour moi un classique de la littérature au même rang que Sa Majesté des Mouches de William Golding. Alors si vous n’avez jamais lu le Roi et que vous cherchez une porte d’entrée pas trop lourde en pages, ce livre est fait pour vous. D’ailleurs, venez j’en ai plusieurs exemplaires, je peux vous en prêter un si vous voulez. Suivez-moi ils sont dans ma voiture juste là dans la ruelle au bout. Comment ? Si ma voiture c’est la Plymouth Fury 58 là-bas, près du hangar ? Ah oui, oui, c’est bien elle. Christine que je l’appelle.

Note : 8/10

Un petit mot sur l’édition présentée, avec les nouvelles couvertures de Livre de Poche que je trouve géniales et rafraîchissantes au point que je me les rachète toutes petit à petit mais ça prend du temps – oui les budgets ne sont pas extensibles et plus de 40 bouquins à presque 10 balles chaque, ça claque.

Si vous ne savez pas comment j’ai connu le Roi, c’est par ici que j’en parle.

Et si vous vous posez la question de quel est mon roman préféré du maitre, c’est par là.

Je vous recommande également le podcast du Roi Stephen si vous voulez écouter des résumés et analyses des livres du King.

Un grand merci Sai de m’avoir lu. Je vous retrouve très vite pour de nouvelles Revues… si d’ici là le Croquemitaine ne m’a pas mangé dans une salle de cinéma, très bientôt.

Bonne fin de civilisation !

Éditions présentées Livre de Poche. Nouvelles Couvertures. 288 pages EAN : 9782253096764. Dépot légal : Janvier 2010. Toutes les images présentées dans cet article sont la propriété exclusive de leurs auteurs.