Bonjour à toi, lecteur d’Automne,
Cher lecteur, chère lectrice, nous continuons notre voyage au cœur de cet automne brumeux et pluvieux. À l’heure où j’écris ces lignes un crachin venteux piquette ma maison, ponctué de-ci de-là de rafales qui s’écrasent en mitraille sur mes fenêtres. Les nuages gris roulent sous l’impulsion violente du vent, alors que la lumière peine à filtrer. Sur ma table de fortune – votre serviteur travaille dans des conditions proches de l’esclavage pour vous amener le meilleur de ses lectures – un café chaud accompagne ma prose qu’une lampe de bureau doit éclairer, alors que nous sommes encore en journée, afin de ne pas fatiguer mes yeux déjà trop usés. La luminosité est plus faible ces jours-ci, la température aussi, c’est le temps idéal, vraiment, pour aller faire une balade en compagnie du Maitre. L’année dernière, Tomabooks a lancé l’automne du King sous le hashtag #automneduking, et ayant beaucoup apprécié le concept, j’ai remis ça cette année. Il s’agit de ma troisième lecture du King pour ce challenge après Élévation et L’Outsider. Je vais vous parler de la nouvelle la plus autobiographique écrite par Stephen King : Le Corps.

Quatrième de couverture :
J’allais sur mes treize ans quand j’ai vu un mort pour la première fois. Parfois, il me semble que ce n’est pas si lointain. Surtout les nuits où je me réveille de ce rêve où la grêle tombe dans ses yeux ouverts.
Été 1962, quatre adolescents un peu fous s’élancent le long de la voie ferrée, à la recherche d’aventure, de frisson… de danger ?
Mon avis :
Les choses les plus importantes sont les plus difficiles à dire, des choses dont on finit par avoir honte parce que les mots ne leurs rendent pas justice – les mots rapetissent des pensées qui semblaient sans limites, et elles ne sont qu’à hauteur d’homme quand on finit par les exprimer.
Stephen King
J’ai lu cette nouvelle il y a plus de 25 ans alors qu’elle faisait partie intégrante du recueil Différentes Saisons. À l’époque – et mon dieu que j’étais jeune ! – ce n’était pas la nouvelle qui m’avait le plus marqué alors que le livre en comptait 3 autres. Je dirais même pour être honnête que je ne m’en rappelais pas du tout. Cette relecture aura eu du bon, donc. Il est rare que je ne me rappelle pas d’une lecture, quand bien même elle date. Il faut croire que le temps finit par craqueler notre mémoire. Enfin, pas celle de King. Cette nouvelle le prouve.
On va tout de suite régler un point tout à fait personnel sur cette édition. Il ne s’agit en aucun cas d’un roman. C’est une nouvelle. Longue, certes. Mais une nouvelle. L’éditer seule ? je ne suis pas convaincu de l’intérêt pour le lecteur, la couverture ne justifie même pas l’achat. Où sont passées les belles illustrations des éditions de ma jeunesse ? Ces couvertures qui vous dévoilaient un monde, vous donnaient envie de vous y plonger ? Mon premier achat, Simetierre en version poche – oui, quand tu es lycéen tu lis du poche parce que c’est moins cher et ça prend moins de place – était entièrement motivé par la couverture avec ce cimetière fait de croix de bois au milieu d’une clairière et en arrière plan, un bosquet surplombé par deux yeux faits de jeux d’ombres, transperçant une lumière spectrale, qui vous observait. La motivation de cette présente édition me semble ici purement commerciale et non artistique, à mon grand regret, et je ne juge pas opportun d’éditer une nouvelle à la façon d’un roman dans ces conditions. Ceci étant dit, d’une manière générale, les couvertures du King, bien qu’il n’en soit pas responsable, me déçoivent d’année en année. J’aime les illustrations. J’aime les illustrateurs. Remarquez, on peut faire de belle couv’ en photo aussi, c’est un art également, mais les rééditions de ces dernières années en poche me laisse complètement sur ma faim, à croire qu’on ne veut plus engager d’illustrateurs, encore une fois pour des raisons économiques. Tristesse. Quand je vois les gens s’emballer sur la réédition du Fléau avec sa couverture tout en vert… mouais… moi aussi je sais dessiner un corbeau sur une couv’ bichromatique. Je préfère mon édition, donc pas de rachats pour moi. Désolé.
Mais bref ! Trêve de digressions sur ce sujet. Passons au cœur du livre. King nous livre une de ses plus belles préfaces. Une des plus intimes aussi. Pourquoi ? Pour nous prévenir. Cette nouvelle n’est pas une simple histoire, elle est autobiographique. Oh, bien sûr, pour ceux qui connaissent bien sa vie, son oeuvre, on sent où commence la vérité et où la fiction prend la relève pendant le récit, mais il a toujours mis une grande part de lui dans ses écrits, c’est connu.
Plus jamais je n’ai eu d’amis comme à douze ans, et vous?
Stephen King
Au travers d’un narrateur qui se nomme Gordy Lachance et qui ressemble étrangement à notre écrivain favori, nous allons vivre – ou revivre par procuration – une tranche de vie adolescente, en partageant l’expédition incroyable de quatre jeunes de 12 ans à la recherche du corps d’un garçon qui a disparu et qui semble se trouver au bord d’une voie ferrée. Le but du voyage ici n’est pas le plus important et je l’ai même oublié par moment lors de ma lecture. Non, le vrai but du récit est ailleurs. Cette randonnée morbide n’est qu’un prétexte pour King pour nous remémorer ce que c’était d’être une bande de copains à douze ans. J’ai bien dit copain, je pense que cette histoire entrera plus en résonance auprès d’un public masculin « d’âge mûr » on va dire, car il faut être un garçon qui a un peu vécu et laisser son adolescence loin dans le rétroviseur pour comprendre certaines situations. J’ai lu beaucoup de commentaires disant que les termes homophobes qui émaillent le récit dans la bouche des quatre ados, dérangeaient. Et bien désolé, je n’ai pas l’âge du King et de loin, mais ces tendances existaient encore de mon temps, et il faut avoir été un garçon pour le comprendre. Si je devais expliquer ces pratiques, je dirais que c’est une question d’affirmation, comme montrer qu’on est un mâle alpha parmi d’autres, afin de ne pas se faire dévorer par la meute, un truc de virilité alors qu’on y est pas encore.
C’est un croisement terrible que le Maître nous amène là. L’enfance et la mort.
Le récit est bien construit malgré quelques longueurs inutiles, il s’articule comme un parcours initiatique où chaque étape est déterminante et permet à chaque garçon de réaffirmer qu’il sera bientôt un homme – avec ce que ça implique – à grands coups de bravaches verbales et de tours de force. C’est surtout pour chacun, une manière de tromper leur angoisse commune à tous, de la maintenir terrée tout au fond sous cloche, avec interdiction de remonter. Parce que quand on a douze ans, on ne sait pas ce qu’est la mort. La mort c’est un truc d’adulte. On ne l’imagine même pas. Et ça, c’est terrifiant. C’est un croisement terrible que le Maître nous amène là. L’enfance et la mort. Tout du long, jamais il ne dira qu’ils ont vraiment peur, jamais il ne dira combien ils ne veulent pas lâcher par fierté, parce que « les hommes » fonctionnent – bêtement aurais-je envie de dire – comme ça. Mais il illustrera ça de manière magnifique par leurs comportements, leurs mots. King a un don pour parler de l’enfance. Il se rappelle très bien de ses codes, et il a cerné de manière très précise toute la psychologie qui en découle. Ce voyage symbolise le rite de passage vers l’âge adulte. N’oubliez jamais : nous sommes tous le produit de notre enfance et nous faisons nos premiers choix dans notre vie d’adulte en conséquence. Cette nouvelle aborde ce fait, d’une certaine manière.
Conclusion :
En remontant le rail vers Le Corps, King remonte le temps et nous rappelle combien nous étions impressionnables et en même temps si insouciants étant jeunes. Alors que pour certains l’avenir semble déjà se dévoiler sous des funestes auspices et qu’ils en ont vaguement conscience, on continue à croire aux légendes urbaines, comme celle du chien du gardien de la décharge, ou aux histoires qui font peur, celles qu’on se raconte au coin du feu dans la nuit étoilée. On est persuadé que nos bobards sauront tromper nos parents, et qu’ils ne comprennent rien, sans nous douter qu’ils ont eu notre âge un jour et qu’ils s’en souviennent, aussi … oui… oh, oui.
Le King nous parle d’une époque plus lente, plus douce et plus violente aussi, dont ma génération a connu les derniers soubresauts avant de sombrer dans l’ère du numérique et du dématérialisé, dans l’air de la violence sociale en réseau. C’est une lecture triste et nostalgique. Oui. Bon nombre de lecteurs ont semblé déçus, persuadés de trembler de peur en lisant cette histoire. Malheureusement pour eux, point d’horreur mêlée de fantastique ici. Et c’est probablement la force de ce récit : la réalité est parfois bien plus horrible. King par son talent narratif arrive une fois de plus à traiter de thèmes profonds en quelques pages et à nous montrer que le plus terrifiant réside dans ce quotidien voilé derrière chaque fenêtre. Il ouvre, comme souvent, une porte sur l’innocence perdue avec notre enfance, et cela restera le thème majeur de son oeuvre, selon moi. Sa capacité à se remémorer nos codes, nos comportements, nos croyances, lors de cette époque d’insouciance bénie est sans aucun doute unique. Un récit sur l’enfance donc, et ses drames invisibles, ses horreurs muettes. Un petit bijou en quelque sorte, malgré quelques pages qui auraient pu être coupées sans pour autant gâcher le récit. Mais on lui en voudra pas, on adore l’écouter raconter !
La Note : 7,5/10
Vous pouvez aussi retrouver les avis de : Tomabooks
Edition présentée : Albin Michel. Paru le : 2/10/2019 ISBN :2226445366 Traduction : Pierre Alien
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.