Joyeuses Pâques ! En ce beau dimanche ensoleillé, je vous souhaite de profiter des vôtres. Chérissez-les, embrassez-les. En attendant laissez-moi vous servir un café de Pâques au comptoir de la Taverne.
Un café, un livre, what else ?
Alors de quoi a été faite ma semaine mis à part que je traine une douleur nerveuse au bras gauche depuis 15 jours et qu’il m’est difficile d’utiliser mon bras directeur (y compris pour écrire ces lignes) ?
Les Pages du Milieu.
Tout d’abord, après avoir terminé ma relecture de Seigneur des Anneaux dans la nouvelle traduction, je suis tombé un peu par hasard sur ce podcast fait par nos amis belges. Il s’agit d’une relecture chapitre par chapitre du Seigneur des Anneaux par trois amis, grands fans devant l’éternel de Tolkien et de la trilogie de Jackson. Leur travail est bluffant, leurs recherches tout autant, et bien que je n’y apprenne pas forcément grand chose puisque cela fait plus de vingt ans que je creuse l’univers et que je cherche sous chaque caillou, leur bonne humeur et leur qualité de narration me font passer un agréable moment. Vous me connaissez, à la Taverne, j’aime promouvoir le travail d’autres « bénévoles » amoureux de l’art pour l’art, des passionnés, et de tous ceux qui méritent que l’on soutienne leur travail. Alors je le dis, un grand merci aux Pages du Milieu pour ce podcast. C’était une idée que j’avais eu moi-même il y a quelques temps, mais faute de compagnon pour m’accompagner, le voyage ne se fit jamais. Je continuerai de vous soutenir et de parler de vous ici. Namarië, amis du Nord !
N’hésitez pas à les soutenirs via les réseaux sociaux, et à partager leur travail, ça en vaut vraiment le coup.
JDR
Côté JDR, je me suis laissé tenter de manière bien singulière par Dungeon Crawl Classics. Lors d’une conversation avec un camarade rôliste, lui expliquant que je m’étais lassé des jeux d’Heroic Fantasy tel D&D, et donnant les raisons pour lesquelles j’en étais là, ce dernier, après avoir noté tout les points que j’avais évoqués, me parla de ce jeu que je ne connaissais pas. Après avoir fait une recherche, regardé la présentation de Rôliste TV, je me suis retrouvé drôlement attiré par ce concept plus One Shot, sanglant et proche du jeu d’origine. Résultat, le bébé est arrivé chez moi. Affaire à suivre donc !
Du donj’ à l’ancienne, mortel et efficace.
Série.
Enfin côté série, le 6e épisode du Mandalorien (dernière série en cours pour ma part) a été particulièrement prenant. La présence de guests au casting, combinée au dénouement de l’épisode ont fait de ces 46 minutes un vrai moment de détente. Mais la vraie surprise de la semaine est arrivée vendredi soir, lorsque Disney a sorti le trailer de la série Ahsoka que nous attendions impatiemment avec mes filles, et pour le coup je suis super hype ! Je vous laisse regarder le teaser si vous ne voulez pas être spoil parce ce que je vais dire ensuite.
Ahsoka ! ahsoka ! elle danse tous les soirs (Jean Pierre Madère)
Ca y est, vous avez regardé ? Ok, alors mon plaisir réside surtout de revoir les personnages de la série Star Wars rebel enfin en live Action. J’avais adoré cette série d’animation produite par Dave Filoni, encore plus que les Clones Wars. En tout cas, rendez-vous en aout pour découvrir le premier épisode.
Côté article, je suis toujours en cours de rédaction du prochain, mais le boulot, la famille, ne me laissent que peu de temps, je pense que celui-ci arrivera pour les vacances qui approchent. En attendant, je vous laisse retourner à vos oeufs de Pâques. Encore un bon dimanche et à très bientôt.
Bonsai !
Toutes les images présentées dans cet article sont la propriété exclusive de leurs auteurs.
Nous quittons un instant les rivages de l’horreur et de la folie Kinguienne que je parcours depuis un mois pour aborder les terres paisibles et reposantes de Philip K. Dick.
Naaann, je plaisante. Le bonhomme est encore plus dérangé que Steve. Philip K. Dick, un nom qui représente beaucoup de choses dans le domaine de la science fiction. Connu aujourd’hui du grand public essentiellement pour des films tels que Blade Runner, ou encore Minority Report, seuls quelques acharnés fanatiques savent réellement qui il est et de quoi est constitué l’essence de son oeuvre. Nous voici encore en présence d’un auteur qui malheureusement n’aura pas eu beaucoup de succès de son vivant et n’atteindra jamais la stabilité qu’il désirait. À la fois paranoïaque, schizophrène pour certains – ce qui n’est en aucun cas avéré –, il chercha à apaiser toute sa vie un mal-être qui le rongeait. Que ce soit au travers des drogues ou de l’écriture, il ne réussit seulement qu’à atténuer cette douleur sourde au fond de lui. Celui qui écrivait « Si vous trouvez ce monde mauvais, vous devriez en voir quelques autres » n’a cessé de clamer haut et fort que notre monde n’était pas la réalité, qu’il n’était qu’une surface d’apparence. Auteur à l’atmosphère glauque et futuriste, aux multiples grilles de lecture tant son oeuvre est pleine et complexe, il inspira la mode du Cyberpunk bien qu’il ne la vit jamais puisqu’il mourut en 1982 à l’âge de 53 ans d’un AVC suivi d’une défaillance cardiaque. il entraîna dans son sillage la naissance de toute une série d’œuvres futuristes et philosophiques comme Matrix, où la réalité est remise en cause à tel point que des chercheurs actuellement tentent de prouver que nous ne sommes pas dans la matrice. En 1962, il publia Le Maître du Haut Château, une uchronie. Ce premier succès sera récompensé du Prix Hugo l’année suivante.
Quatrième de couverture :
En 1947 avait eu lieu la capitulation des alliés devant les forces de l’axe. Cependant que Hitler avait imposé la tyrannie nazie à l’est des Etats-Unis, l’ouest avait été attribué aux japonais. Quelques années plus tard la vie avait repris son cours normal dans la zone occupée par les nippons. Ils avaient apporté avec eux l’usage du Yi-King, le livre des transformations du célèbre oracle chinois dont l’origine se perd dans la nuit des temps.
Pourtant, dans cette nouvelle civilisation une rumeur étrange vint à circuler. Un homme vivant dans un haut château, un écrivain de science-fiction, aurait écrit un ouvrage racontant la victoire des alliés en 1945…
Mon avis :
Je ne vous dévoilerai pas la trame du livre, ce qui à mon sens ne ferait peut-être que vous embrouiller, car de ce que je sais la plupart des lecteurs ressortent avec un avis mitigé de ce roman. Pour ma part, je l’ai adoré : en tant que fan d’Histoire et plus précisément de la seconde guerre mondiale dont j’ai fait ma spécialité, j’aime jouer au jeu des « Et si ? » Ce livre est un Et si qui a pour point de divergence l’attentat manqué en 1933 contre Franklin Delano Roosevelt, président des USA de 1933 à 1945. Mais le contexte historique, si savoureux quand on a toutes les références aux évènements auxquels il se réfère, n’est qu’un fond miroitant, mettant en relief le vrai sujet du livre : qu’est-ce que la réalité ? À l’intérieur se dessinent deux réalités, une uchronie dans l’uchronie. Si on y ajoute la notre, notre monde, cela en fait trois. De quoi donner le tournis au lecteur.
Les fous sont aux pouvoir, mais combien sommes-nous à le savoir ?
Le Maître du Haut Château Philip K. Dick
La connaissance du conflit de la seconde guerre mondiale par l’auteur et impressionnante, fouillée, travaillée, il envisage toutes les possibilités que n’importe quel wargamer s’amuse à rejouer. Il parle de la conquête de l’Angleterre, de la bataille du désert de la victoire de Stalingrad pour l’Axe. Et pour mieux nous présenter sa réalité, il nous propose de suivre la vie monotone et totalement banale de plusieurs personnages au cœur de ce monde dans les années 1960 sur la côte ouest, nouvelle zone d’occupation des japonais, les allemands s’étant accaparé l’est. Nous y suivons leur quotidien, leurs aspirations. Le fait que des Américains de l’Ouest traitent les Chinois de sous-race de la même manière que les japonais le font montre à quel point on embrasse vite les pratiques des vainqueurs. L’auteur manie l’ironie avec subtilité, jouant sur les clichés nationaux et raciaux, allant jusqu’à dénoncer l’attitude même des réels vainqueurs de la seconde guerre mondiale par effet de contre balance. Sa critique raciale n’a qu’un seul but : renforcer la haine du racisme ou plutôt le dénoncer.
Le sang n’est pas comme l’encre, rien ne peut en effacer les taches. (Tagomi)
Le Maître du Haut Château Philip K. Dick
Je dirais surtout qu’ un des messages principaux de l’auteur est que, quelle que soit la trame de l’histoire, la guerre est horrible, elle est violence, elle est horreur, elle est abjecte. Il nous décrit un monde post conflit où les japonais font preuve d’une certaine morale, une esthétique, là où les nazis sont efficaces, froid. Au milieu de tout ça, les protagonistes du livre s’en remettent énormément à une pratique de divination importée par les japonais, le Yi King, permettant de demander son avenir afin de faire le meilleur choix. Comme si les hommes et les femmes n’étaient plus capable de prendre une décision après tant de totalitarisme. Pour la petite histoire, K. Dick aurait lui même utilisé le Yi King pour la rédaction de son livre, avec quel impact sur la trame ? Je ne saurais dire.
Et l’uchronie dans l’uchronie me direz-vous ?
Il s’agit d’un livre intitulé Le Poid de la Sauterelle écrit par un auteur vivant reclus dans un château en hauteur. Si ce dernier dans son roman envisage que l’Angleterre est le grand gagnant de la guerre contrairement aux USA et Soviétiques de notre réalité, c’est aussi parce que dans cette trame historique Roosevelt n’a pas été président des États-Unis pendant la seconde guerre mondiale, victime d’un assassinat. Par là même, il nous montre que plusieurs futurs auraient pu être possibles dans cette grande période trouble. Quand on sait que le monde a, pendant 60 ans après la seconde guerre mondiale, été façonné par les grands vainqueurs de ce conflit, ça fait réfléchir.
Néanmoins, la peur du communisme – La Guerre Froide battait son plein au début des années 60 – permet à K.Dick de justifier une victoire de l’Allemagne, nécessaire pour le monde, dans la voix du jeune protagoniste italien Joe. On pourrait croire qu’il l’aurait presque souhaité mais il n’en est rien puisqu’il aborde la notion même de populisme, en décrivant comment des bourgeois ont monté le peuple contre d’autres bourgeois riches et financiers en vantant la valeur du travail par-dessus celle de l’intellectualisme : c’est le terreau fertile de tout extrémisme, monter les gens les uns contre les autres, et affaiblir les élites capables de modération et de réflexion.
Finalement, ce roman, au travers de la déformation de la réalité, lui permet une critique acerbe du fonctionnement du monde, dévoilant à tous que les systèmes sont tous imparfaits, que certains sont pires que l’actuel, mais surtout que ceux qui se retrouvent toujours dans la tourmente se situent au bas de l’échelle et supportent tout – caractérisés ici par les protagonistes du livre.
Il montre surtout que le temps est en quelque sorte un gruyère et qu’on peut à n’importe quel moment s’engouffrer dans un de ces trous et se retrouver sur une autre face avec une autre réalité. Alors faites bien attention où vous mettez les pieds, allez savoir, si les livres ne sont pas ces trous de gruyère, prêts à vous aspirer…
Conclusion :
J’ai passé un excellent moment avec ce livre. Assez fan d’uchronie, celle-ci est beaucoup plus dérangeante car elle laisse entendre que plusieurs réalités cohabitent à différents niveaux, qu’elles peuvent même être imbriquées les unes dans les autres. Premier succès de l’auteur, son prix n’est pas usurpé, pour autant lire ce récit demandera peut-être quelques connaissances historiques ainsi qu’un peu d’effort intellectuel pour réellement appréhender toute la profondeur de l’oeuvre.
Si vous êtes fan de ce genre d’oeuvre, je ne peux que vous recommander les livres de l’excellent Robert Harris, et notamment Fatherland qui propose une thématique similaire – l’Allemagne a gagné la guerre – mais se déroule en Allemagne pour un final renversant : un must. Il faut que je le relise tiens, en attendant vous pouvez voir la chronique d’Hildr’s World sur ce livre.
Note : 8,5/10
À noter qu’il s’agissait une lecture audible, mais que je la déconseillerais à ceux qui ne maitrisent peut-être pas tous les lieux et évènements propres à la seconde guerre mondiale, le voir écrit est parfois plus facile à retrouver, si comme moi vous aimez faire des recherches pendant vos lectures afin de vous enrichir culturellement.
Ce soir, la tempête balaie les murs extérieurs de ma ville alors que la nuit enveloppe tout de son linceul de ténèbres. Le vent roule, se contorsionne, hurle et frappe sous les rebords du toit tandis que la pluie fouette et tapisse mes carreaux. Au travers, le paysage se liquéfie, parsemé de goutelettes scintillantes telles des milliers d’étoiles, et d’autant de coulées multicolores aux reflets oniriques. Malgré ce déchainement de fureur, sur mon bureau, une bougie famélique éclaire mon clavier, sa lumière vacillante vient parfois caresser les pieds d’un Cthulhu assis sur son trône qui me surveille à moitié endormi de sous mon écran. Mon carnet de notes et mon livre à portée de main, c’est avec un sourire malicieux que je m’apprête à rédiger cette revue. Howard Phillips Lovecraft. On peut dire qu’il a les honneurs de mon blog dernièrement, et c’est avec un plaisir non dissimulé que je poursuis cette série d’articles qui verra tous les volumes de Mnémos chroniqués. Il le mérite. Ma première revue à son sujet remonte à une lecture audio faite en 2018 du texte l’Appel de Cthulhu tiré de l’intégrale de Bragelonne qui à l’époque était le premier effort de publication assez complet tentant de regrouper tous ses textes importants en une édition unique. Puis j’avais fait le choix de parler du tome 2 de cette série intégrale, alors qu’on trouvait beaucoup plus d’éléments sur la blogosphère en rapport avec le premier tome. J’en étais à ma découverte de l’auteur, je ne savais pas vraiment vers quel type d’édition me diriger, d’ailleurs il y a beaucoup d’éléments de ces premières chroniques que je vais enfin pouvoir réviser à travers cette série d’articles, mes analyses n’étaient pas toujours justes. Mes recherches s’affinant – entre temps j’avais terminé de lire les 3 premiers tomes édités chez Bragelonne et il ne me restait plus que le quatrième concernant les contrées du rêves – je découvris un peu tard que Mnémos avait fait un financement participatif afin de retraduire tout Lovecraft en un magnifique coffret de 7 volumes. Manque de chance, j’avais loupé le train. J’allais devoir attendre la sortie dudit coffret en espérant qu’il en resterait. Ce ne fut pas le cas, mais la maison d’édition allait faire mon bonheur : ils annonçaient la publication de chaque tome séparemment dès 2022. Bingo ! L’occasion était trop belle d’autant plus que le premier tome en question contenait les textes que je n’avais pas encore lus : Les Contrées du Rêves. Alors, êtes-vous prêt à descendre avec moi les soixante-dix marches menant à la caverne de la flamme pour rencontrer Nasht et Kaman-Thah, les prêtres barbus ?
Quatrième de couverture :
Parallèlement à ses textes regroupés par la suite sous l’intitulé du Mythe de Cthulhu, H.P. Lovecraft a créé tout un univers onirique, une contrée sauvage et magique. Découvrant ses démons et ses beautés, ses cités aux merveilleuses flèches d’or, ses falaises d’onyx ou ses mers crépusculaires, Randolph Carter, le double littéraire de l’auteur, poursuit une quête sans fin, celle de Kadath l’inconnue.
Pour la première fois en France, l’intégrale de l’œuvre de fiction de Lovecraft est publiée dans une traduction unifiée, réalisée par David Camus, qui a consacré dix ans à ce chantier. Cette édition en sept tomes est complétée d’un large choix d’essais, de correspondances, de poésies et de textes révisés par l’écrivain, de cartes en couleurs, ainsi que d’études et de très nombreuses notes par les meilleurs experts de l’œuvre.
Textes de Lovecraft contenus dans ce volume : La Quête d’Iranon (The Quest of Iranon), Polaris (Polaris), La Malédiction qui s’abattit sur Sarnath (The Doom That Came to Sarnath), Hypnos (Hypnos), L’Étrange maison haute dans la brume (The Strange High House in the Mist), Le Bateau blanc (The White Ship), Celephaïs (Celephaïs), Ex Oblivione (Ex Oblivione), Ce qu’apporte la lune (What the Moon Brings), Le Livre ( The Book), Les Chats d’Ulthar (The Cats of Ulthar), Les Autres Dieux (The Other Gods), Le Témoignage de Randolph Carter (The Statement of Randolph Carter), La Quête onirique de Kadath l’Inconnue (The Dream-Quest of Unknown Kadath), La Clé d’argent (The Silver Key), À Travers les portes de la clé d’argent (Through the Gates of the Silver Key), Azathoth (Azathoth).
Mon avis :
Cette édition intégrale possède un écrin somptueux qui ne cesse de me ravir, moi l’amoureux des livres. Couverture rigide, dos élégant, que je préfère en blanc d’ailleurs comme ma présente édition plutôt que le noir du coffret intégral (mais ce n’est qu’une question de goûts), double pages de garde intérieures décorées d’une magnifique carte des Contrées du Rêve en couleur, et un papier à l’épaisseur idéale, le tout pour une prise en main agréable. Même si HPL disait lui-même que l’objet-livre ne comptait pas, seulement son contenu, je ne peux tout de même que m’extasier devant cette finition de qualité qui se veut à la hauteur de l’oeuvre de l’auteur de Providence. Indéniablement, cette édition surpasse tout ce qui a été fait jusqu’ici en France, que ce soit dans la finition, l’esthétique, mais surtout dans la traduction et l’agencement des récits et contes. Ce recueil ainsi que le second n’ont pas été totalement le fruit du Crowdfunding. En effet le travail avait commencé en 2010 avec une première édition de ces Contrées du Rêve qui a servi de base. Après une introduction générale de l’intention de cette nouvelle traduction par David Camus, nous avons deux préfaces, celle de la première édition, suivie d’un addendum pour le présent livre. Elle nous donne le ton de ce recueil, les enjeux, et ce que le traducteur a tenté modestement de rendre à César – surnom que Lovecraft n’aurait pas renié lui qui se faisait appeler Lucius le romain. Trois textes viennent compléter la version publiée en 2010 : Ex Oblivione, Ce qu’apporte la lune et Le Livre, pour un total de 17 entrées.
Dans chacun des autres volumes de l’intégrale, l’ordre chronologique d’écriture des textes a été privilégié, mais il n’en va pas de même pour celui-ci. David camus nous en explique la raison en préface :
Ici, le parcours – puisqu’il s’agit, dans tous les cas, d’une proposition de voyage – emprunte la temporalité des rêves, qui n’est pas toujours chronologique. Les œuvres sont donc présentées dans l’ordre qui nous a paru offrir la meilleure expérience de lecture – ou onirique, si vous préférez. Une expérience qui débute par « La Quête d’Iranon », dont les décors évoquent l’Antiquité, et se prolonge, en passant par les temps modernes, jusqu’au voyage entrepris par Carter au sein même de ces Contrées, où il recherche Kadath.
David Camus
Voilà l’itinéraire tracé, nous n’avons plus qu’à nous allonger tranquillement, la tête bien calée sur notre oreiller et à sombrer au pays des rêves pour y retrouver toute la féérie onirique déployée par Lovecraft. Mais que nous raconte ces textes ? Qu’évoquent-ils ? Et pourquoi les avoir regroupés ensemble ? Je vous propose de découvrir mes notes de lectures dans leur état brut afin de vous faire une idée.
La quête d’Iranon : On dirait du Tolkien dans sa poésie aux accents antiques, aux noms chatoyants. La morale de la quête d’Iranon c’est que lorsqu’on perd ses rêves on meurt. Le rêve rend éternel et le beau repousse la mort. C’est aussi une métaphore du passage à l’âge adulte selon moi.
Polaris : Rêve et réalité se confondent à la lueur des étoiles. Où commence le rêve ? Où finit la réalité ? Le rêve est une porte entre les mondes? Rythme, conception, figures de style et vocabulaire poétique, tout y est. Un de mes préférés. La passivité du héros est une métaphore à peine voilée du sentiment d’inutilité de Lovecraft pendant la WW1 alors qu’il ne put rejoindre un bataillon d’engagement pour des raisons de santé.
La Malédiction qui s’abattit sur Sarnath : remake de Sodom et Gomorrhe avec de belles descriptions qui perdent le lecteur, alors que la finalité est présente dès le début. Thème (étonnant ?) de Lovecraft sur la peur de l’autre, de l’inconnu.
Hypnos : il pose les jalons de la suite de son œuvre avec « l’indescriptible » laissant l’imagination du lecteur faire le reste. Voyage astral ? A-t-il réellement un ami ? Le rencontre-t-il réellement à la gare ou s’agit-il déjà de sa statue ? Encore une fois perte du réel. Peur du vieillissement et de la mort.
L’étrange Maison Haute dans la Brume : Conte onirique, symbolique du chemin vers le rêve (on monte), histoire d’ambiance avant tout. première nouvelle où nous apercevons la ville de Kingsport qui n’est autre que la transcription de la cité de Marblehead dans le Massachusetts avec ses maisons de style coloniale qu’affectionnait particulièrement HPL.
Le Bateau Blanc : Quête onirique d’un royaume mais les présages sont trompeurs. Et la mort ou le désespoir guette celui qui veut trop savoir.
Celephais : Encore une fois le rêve rend fou et aveugle. Il peut conduire un homme de la misère au suicide en cherchant à braver l’interdit.
Ex Oblivione : Les drogues pour oublier le monde, rêver et mourir.
Ce qu’apporte la lune : Plutôt la mort dans l’horreur que la folie et la peur. Comme souvent tout démarre bien, le décor est bucolique puis l’horreur et la nécrose s’installent.
Le livre : Occultisme mystique, livre magique ouvrant sur d’autres dimensions de l’espace. j’adore!!
Les chats d’Ulthar : Conte onirique incroyable, montrant toute l’affection que HPL portait aux chats qui le lui rendaient bien.
Les autres Dieux : Texte relatant l’histoire d’un soi-disant sage voulant percer le secret des dieux dans les royaumes oniriques, à chacun d’y voir une morale.
Le témoignage de Randolph Carter : Excellent texte à l’ambiance crypte et cimetière, comme dans le molosse, précurseur aussi à mon sens de Charles Dexter Ward. J’adore !
La quête onirique de Kadath l’inconnue : Presque un roman, un voyage au bout du rêve. Suite d’aventures, digne d’un jeu de rôle, où il réintègre énormément de thèmes et de personnages déjà révélés dans d’autres textes (Pickman, les Chat D’Ulthar, les ruines de Sarnath, etc)
La Clé D’argent : Un conte sur l’enfance, l’âge des rêves que Carter s’efforce de retrouver par tous les moyens.
À travers les portes de la clé d’argent : Cette suite écrite sur l’insistance de Hoffman est beaucoup moins bonne que la précédente. L’influence de Lovecraft m’y semble mineure tant les ficelles sont grosses et peu poétique.
Azatoth : Un de mes poèmes en prose favori que j’avais déjà cité lors de la revue du tome 2 du Mythe par Brage.
Il m’est difficile de choisir mes textes préférés tant j’ai été envouté tout le long de ma lecture. Un voyage sublime, d’une poésie incroyable qui pose un contraste saisissant avec les textes qui traitent de l’horreur cosmique et pour lesquels il est plus connu. Ici le fantastique se veut féérique, onirique, et l’auteur nous y livre une prose poétique à bien des égards. Il m’est plus aisé de vous dire plutôt ceux qui m’ont moins marqué sur ce recueil, comme À travers les portes de la clé d’argent, qui d’ailleurs est le fruit d’une collaboration que Lovecraft n’avait pas vraiment souhaité, ne voulant pas apporter de suite à La Clé d’Argent. Les textes sont inégaux en terme de longueurs, certains allant de quelques pages tandis que d’autres comme La quête onirique de Kadath l’inconnue font la taille d’un roman, et quel roman, malgré certaines redondances ! Nous sommes à la limite de l’oeuvre de Fantasy. Je dirais tout de même que j’ai une affection toute particulière pour Polaris, Celephais, Le livre qui semble avoir été une tentative de retranscrire en prose les Fungi de Yuggoth, un ensemble de sonnets poétiques, Le témoignage de Randolph Carter pour son côté macabre et suggestif, La Clé D’argent pour sa quête du monde de l’enfance qui nous est à jamais perdu, et Azatoth pour sa sublime poésie colorée. Je pourrai rajouter La Quête d’Iranon, L’étrange Maison Haute dans la Brume,Le bateau Blanc et bien évidemment La quête Onirique de Kadath L’Inconnue chacune cultivant l’étrange et le surnaturel mais possédant bien souvent une morale ou un message caché. David Camus nous dit à juste titre que Lovecraft, ne cesse de nous échapper pour mieux nous envelopper. En tout cas aujourd’hui il ne peut plus fuir sa renommée, bien qu’il arriverait encore à tourner ça en dérision, voire à croire que tout ceci n’est qu’un rêve.
Conclusion
David Camus nous livre une traduction très pure, au plus proche de la version originale, qui m’a fait redécouvrir Lovecraft. Sa préface nous donne les pistes de lecture à suivre, les chemins cachés au détour d’une phrase, d’un titre, et il peut être intéressant pour vous de la relire à posteriori une fois le voyage terminé comme moi je l’ai fait, car certains éléments ont un sens nouveau. Les notes de bas de pages qui parsèment le tout facilitent la compréhension globale et sont un véritable plus. Ici, Lovecraft n’est pas traité comme un auteur à la mode qui fait gagner de l’argent, mais bien comme un artiste, un esthète de la littérature à l’univers complexe et magique qui mérite d’avoir une traduction à la hauteur de son talent. Mnémos y ajoute un écrin de très belle facture qui rend le voyage d’autant plus agréable. L’hommage et le respect de l’oeuvre sont perceptibles à tous les niveaux, ce qui semble bien être l’objectif de cette présente édition, validé de bien belle manière. Et si d’avenir on me demandait quelle édition je recommande pour découvrir Lovecraft, je répondrai sans détour (désolé pour le jeu de mot, les fans du JDR comprendront) : l’intégrale MNÉMOS.
Ainsi s’achève notre ballade onirique, le réveil approche, on se retrouve très bientôt pour la suite des revues sur cette intégrale, en attendant, rendez-vous sur les chemins des Contrées du rêves, en bon rêveur que nous sommes, lecteurs d’imaginaire.
Bonsai!
Toutes les images présentées dans cet article sont la propriété exclusive de leurs auteurs.
22h30. Je viens de refermer mon livre, Je Suis Providence de S.T. Joshi.
Un grand vide s’empare de moi alors que, mon livre encore entre les mains, je contemple fixement mon exemplaire des Montagnes Hallucinées & Autres Récits d’Explorations des ÉditionsMnémos posé à gauche devant moi, sur la table basse du salon. Tremblotante à côté de mes livres empilés, la flamme de ma bougie parfumée ondule, faiblarde, avant de s’éteindre. Comme un signe. Je viens de passer un mois avec HPL et pour moi c’est comme s’il venait de mourir pour la seconde fois, seul, ignoré, oublié, sans descendance. Pourtant cette fois-ci, ce n’est pas tout à fait vrai. Cette fois-ci, j’étais là, j’ai été témoin, je l’ai accompagné, impuissant à changer quoi que ce soit à sa destinée, bloqué dans les couloirs du temps. Un témoin muet, inaudible. Un témoin touché au cœur.
Lire un auteur mort dont on connait les généralités communes est une chose, mais lire Je Suis Providence c’est comme le voir ressuciter pleinement, c’est vivre à son époque, prendre part à ses relations, ses expériences, son évolution, ses études, ses correspondances, son quotidien, pendant 47 ans. Alors l’accompagner jusqu’à cette fin si poignante après tant de mots partagés, c’est comme perdre un ami.
Je comprends – du moins je peux avoir une début d’idée – ce qu’a dû ressentir David Camus après plus de 10 ans passés à retraduire Lovecraft, parce que moi, après un mois complet à partager son quotidien et lui le mien, je suis parcouru de beaucoup d’émotions différentes allant de la tristesse à la consternation en passant par l’admiration et le rire.
Il est 22h30 et je n’ai pas envie de dormir. J’ai envie de prendre mon livre sur la table et relire une de ses nouvelles, la toute première que j’ai lu, La Cité Sans Nom. Me mesurer à nouveau à l’immensité de son talent littéraire. Et me perdre dans l’abîme du cosmos, sombrer jusqu’à n’être plus qu’un petit point, perdu parmi les étoiles…
8 Janvier 2023. Kerbaden.
Cette Préface a été écrite dans la foulée de la fin de ma lecture. Pour la première fois je voulais saisir l’instant. Pour la première fois je voulais écrire à chaud, le cœur encore saignant, ce qui me traversait. Au départ, je m’étais fixé l’idée de rédiger toute ma revue d’une traite car, oui, je ne voulais pas dormir. Je voulais rester encore un peu avec lui, à son chevet. Et vous vous demandez sans doute ce que j’ai fait après avoir écrit ce passage… nous en parlerons plus tard. En tout cas je n’ai pas pu tout écrire. Je me connaissais, je le savais. Il fallait laisser refroidir les cendres avant de fouiller dedans. Allez, suivez-moi, je vous emmène de l’autre côté de l’Atlantique, à Providence.
Hello There !
Une fois n’est pas coutume, seulement un mois après sa lecture, et dans la foulée des Onos Awards, où Lovecraft fut le grand vainqueur de 2022, je publie ma revue. C’est suffisamment rare pour être souligné. Vous verriez mes articles en attente, certains sont sur des livres lus il y a deux ans ! Mais au jeu de la mémoire et des notes, je m’en sors plutôt bien. Alors pourquoi écrire si vite sur ce livre qui m’a profondément marqué, à tel point que j’y pense encore malgré d’autres lectures entamées ? Pour graver dans le marbre cette expérience. Ce blog c’est un peu mon journal de lecture (j’y reviendrai plus tard), et autant je me moque dans quel ordre sont rangées certaines lectures, autant celle-ci j’ai eu besoin qu’elle soit ancrée temporellement, parce que pour moi, il va y avoir un avant et un après. On se remémore tous certaines choses par rapport au contexte, c’est l’une des mémoires dont nous disposons. Il arrive que, certaines fois, certains éléments disparaissent de cette mémoire contextuelle pour passer dans la mémoire à long terme, tout simplement parce que nous l’avons perdu. Hors ici, je ne le veux pas, cette revue est un témoignage, tout autant qu’un hommage. Une trace, infime soit-elle, dans l’immensité du net. Elle ne survivra pas à l’oeuvre de Lovecraft, je n’ai aucun doute, ni non plus je l’espère à ce livre colossale qui parle d’un homme avant tout.
Quatrième de couverture :
Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) est un auteur qui fascine autant par son oeuvre que par sa personnalité. Ayant influencé avec ses récits fantastiques et horrifiques (comme L’Appel de Cthulhu) de nombreux écrivains comme Stephen King, ses fictions et sa vie ont été soumises à de nombreuses interprétations pas toujours exactes, véridiques et précises.
Spécialiste des littératures de l’imaginaire et de Lovecraft en particulier, S.T.Joshi travaille sur sa biographie depuis plus de 20 ans. Par son érudition et son ampleur, elle est aujourd’hui considérée comme la référence au niveau mondial.
Pour la première fois en France, sous la direction de Christophe Thill et avec le concours d’une équipe de dix traducteurs, cette biographie est proposée aux lecteurs.
Traduit de l’anglais (américain) par Thomas Bauduret, Erwan Devos, Florence Dolisi, Pierre-Paul Durastanti, Jacques Fuentealba, Hermine Hémon, Annaïg Houesnard, Maxime Le Dain, Arnaud Mousnier-Lompré & Alex Nikolavitch.
Un Essai plusieurs fois tenté.
D’aussi loin que je me rappelle, dès la sortie du livre, j’ai eu envie de le lire. Je me le suis donc procuré en Ebook. Mais le nombre de pages, monstrueux sur ma liseuse, et les débuts généalogiques très factuels ne m’avaient pas permis de rentrer dedans, car il ne s’agit pas ici d’un roman. Début novembre, ça faisait deux mois que je ne lisais plus suite à un covid plutôt retord qui m’avait fatigué au-delà de ce que je pouvais imaginer. Alors que je préparais mes petites commandes de Noël, le site de la Fnac me proposa d’autres produits basés sur mes achats précédents. Le premier sur la liste était le tome 1 de Je suis Providence. Hésitant, vu mon peu d’engouement pour la lecture à ce moment là, l’idée me vint que si je n’avais peut-être pas réussi à le lire c’était à cause du format numérique. Dans un geste réflexe je l’ajoutai à mon panier, en me disant que je verrais bien, que ça se tente. De plus, il ne s’agissait ici que du format semi poche, qui était moins épais et peut-être plus digeste. Il faut comprendre mon désarroi de l’époque : Je suis un amoureux des pavés, pourtant celui-ci me faisait peur et m’avait même repoussé en Ebook. Cependant j’étais dans un « ras le bol » général, un trop plein de fantasy, par rapport au JDR et mes lectures, plus rien ne me bottait, la dépression, ce monstre sur le seuil, guettait à ma porte. Lire une bio allait peut-être me donner de l’air, de plus je n’étais pas obligé de me forcer à tout avaler, je pouvais la picorer. Je ne savais pas que ce livre allait m’entraîner par-delà le mur du sommeil et de mon heure de coucher habituel, moi qui n’arrivais plus à veiller le soir. Au final, je l’ai dévoré d’une traite, enchaînant les deux tomes, dans une boulimie livresque comme je n’en avais pas connu depuis longtemps. Mais alors pourquoi cela a-t-il été magique ?
Tout commence à Providence.
Pour situer le contexte et mes essais ratés, je me dois d’expliquer ma rencontre avec celui que je pensais être le reclus de Providence à l’époque. Notre premier contact eut lieu dans ma jeunesse lorsque Stephen King le cita dans une préface et qu’un ami me parla du Jeu de Rôle L’Appel du Cthulhu auquel il était en train de jouer. Je fis bien le lien avec le titre instrumental éponyme de Metallica sur Ride The Lightning mais ça en resta là. Plusieurs années plus tard, la culture littéraire en plus, je situais largement Lovecraft, mais la fantasy ayant jeté son voile rouge sur moi, je ne pris pas le temps de lire son oeuvre, jusqu’a ce qu’on me propose de faire d’une pierre deux coups et de découvrir la lecture en audio et HPL. J’ai déjà parlé de cette expérience et je ne vais pas y revenir. J’étais aspiré, mon âme était perdue. 4 ans plus tard, toute l’intégrale Bragelonne dévorée – et encore plus tard, je prends davantage de plaisir à lire l’édition de Mnémos dans la traduction de David Camus, plus complète, plus proche de l’original, mais ça c’est une autre histoire à venir bientôt – , je ne pouvais me contenter d’en rester là. Il faut me comprendre, je suis un peu obsessionnel : quand quelque chose me fascine, il me faut creuser, il faut que j’en sache plus sur le sujet qui me taraude, et si c’est une oeuvre, je me dois de connaitre son auteur, son contexte et son processus de création. Pour deux raisons, tout d’abord j’ai une soif de connaissance inextinguible. Lorsque la porte a été ouverte, ma curiosité, ma soif de découverte sont dures à étancher. Tant que je n’ai pas la sensation d’avoir fait le tour d’une question, je passe difficilement à autre chose. Ensuite, tout simplement parce que je n’aime pas dire des âneries sur un sujet que j’aime, et en ce qui concerne Lovecraft beaucoup de choses ont été dites et peu sont vraies.
Beaucoup de gens imaginent Lovecraft, enfermé entre ses quatre murs, volets clos, écrivant compulsivement des textes aux sens étranges, misanthropiques, pessimistes, en proie à toutes sortes de pathologies mentales, dépressif, mélancolique, incapable de nouer de contacts normaux avec ses semblables. Certains croient même qu’il a en sa possession un étrange livre auquel il fait référence dans ses textes, Le Nécronomicon d’Abdul Alhazred, et qu’il a percé des mystères qui l’ont rendu fou. D’autres disent qu’il n’a jamais quitté Providence, ville de taille moyenne du Rhode Island, située entre New York au sud et Boston au Nord.
S. T. Joshi né en 1958, découvrit Lovecraft à l’âge de 13 ans. Captivé par ces récits et la prose surnaturelle de HPL, il se lance lui-même dans l’écriture de fictions avant de changer d’avis à l’age de 17 ans et de vouloir devenir critique littéraire. Il choisit de rejoindre l’université de Brown à Providence, réputée posséder plusieurs documents manuscrits de Lovecraft, dans le seul but de rédiger une idée de livre qui le travaille : H. P. Lovecraft: Four Decades of Criticism (1980). Totalement sous l’emprise de l’oeuvre et fasciné par l’homme, il continue de travailler et de publier sur Lovecraft, Lovecraft’s Library (1980; rev. ed. Hippocampus Press, 2002), An Index to the Selected Letters of H. P. Lovecraft (1980; rev. 1991), Selected Papers on Lovecraft (1989), and An Index to the Fiction and Poetry of H. P. Lovecraft (1992). Il édite également les mémoires de Sonia Davis The Private Life of H. P. Lovecraft (1985) et Collected Poems (1988) de Donald Wandrei, contemporain et ami de Lovecraft. Le temps avançant, sa connaissance de l’auteur devint très approfondie et assez complète. Ses recherches constantes l’amenèrent à exhumer des lettres ainsi que des textes manuscrits originaux, permettant de rééditer dans leurs justes formes certains des plus grands récits de Lovecraft, passablement déformés dans les mains d’Arkham House. Son travail de recension méticuleux et précis de tout ce qui touche au Maitre de Providence l’incita naturellement à s’intéresser aux autres auteurs de fictions, contemporains ou influenceurs, gravitant autour de Lovecraft, complétant ainsi son panorama littéraire de fictions fantastiques. En 1993 il se lance dans la rédaction de ce qui allait devenir LA biographie de référence d’un auteur désormais célèbre grâce en grande partie à son travail : Je Suis Providence. En 2010, Hippocampus Press publie une version intégrale et mise à jour de la biographie, suite aux découvertes réalisées entre temps. Il aura fallu plusieurs années pour que ce livre arrive en France grâce à l’impulsion de passionnés et un crowfunding. Je vous renvoie à l’article d’Actu SF sur la genèse de ce livre monumental dans tous les sens du terme. Bien qu’on voit à quel point ce livre n’est pas un livre comme les autres, pourquoi est-il à ce point un must pour tous les fans de Lovecraft ?
Du Gentleman Colonial au Cosmicisme.
Pour comprendre l’oeuvre d’un auteur, je pense qu’il faut en saisir sa pensée, sa vision philosophique. Nous sommes le produit de notre éducation et de notre époque. Lovecraft n’échappe pas à la règle bien qu’il le réfuta pendant très longtemps et se voulait un gentleman du XVIIIe siècle. Il n’hésitait pas d’ailleurs à signer Grandpa nombreuses de ses lettres, signifiant ainsi qu’il se sentait vieux avant l’heure. Pour autant qu’est-ce qui a pu le conduire à tant de décalage et souhaiter être né deux siècles plus tôt et comment a-t-il pu finir par développer un schéma de pensée conduisant à son cosmicisme ?
« le passé est réel — il est tout ce qui existe ». Pour Lovecraft, le futur est une inconnue tant il est imprévisible ; inversement, le présent n’est que le résultat inévitable de tous les événements passés, que nous en soyons conscients ou non.
S. T. Joshi
Le début du livre s’attarde à nous expliquer les racines de Lovecraft, que ce soit tout d’abord sa terre natale, le Rhode Island, aussi bien que sa généalogie. Passé ce préambule qui a finalement fini par me happer, notament pour sa dimension historique sur les origines de l’état d’implantation de l’écrivain, on entre dans le vif du sujet avec une description de son environnement familial. Issu de l’aristocratie de Providence, il se retrouve très vite orphelin de père dans des circonstances dramatique et c’est son grand père maternel, Whipple Phillips, qui va se charger de son éducation. Cette figure paternelle de substitution, qui ne manque pas de ressource financière étant un homme d’affaire audacieux, ouvrira la perception et développera la curiosité du jeune Howard notamment grâce à une bibliothèque fournie située dans les soupentes du grenier et n’hésitera pas à passer tous les caprices de son petit-fils lorsque ce dernier voudra obtenir certains accessoires pour ses études. D’un un autre côté c’est dans ce terreau familial aristocratique, que les germes du racisme de Lovecraft vont naitre. Élevé dans l’aryanisme, qui n’était pas encore la théorie que les nazis en feront, Lovecraft, comme beaucoup de ses contemporains, pense à tort que la race indo européenne est une race culturellement supérieur, et je simplifie beaucoup.
Vers six ou sept ans, j’étais un païen fervent, tellement intoxiqué par les beautés de la Grèce que j’en vins à croire à moitié aux anciens dieux et aux esprits de la nature. J’ai véritablement édifié des autels à Pan, Apollon et Athéna, et j’ai guetté au crépuscule, dans les bois et dans les champs, les dryades et les satyres. Un automne, je crus fermement avoir aperçu des créatures sylvestres en train de danser sous des chênes ; une sorte « d’expérience religieuse »aussi vraie à sa manière que les extases subjectives des chrétiens. Lorsqu’un chrétien me dit qu’il a « ressenti » en lui la réalité de son Jésus ou de son Jéhovah, je peux lui répondre que j’ai « vu » Pan aux pieds fourchus et les soeurs des Phaëtuses d’Hespérie.
H. P. Lovecraft
Car le petit Lovecraft, bien qu’il vive reclus, n’allant pas à l’école, est une personne vive d’esprit. À deux ans, il récite déjà de la poésie. Grandissant, il se passionne tout d’abord pour l’antiquité. Ses lectures des philosophes grecs et romains l’inspirent et il commence à rédiger des poèmes. Puis vers ses huit ans, il découvre les sciences. Sa soif de connaissance inextinguible sur ce nouveau sujet d’étude et de passion le pousse à réclamer un nécessaire de chimie pour des expériences et un téléscope pour regarder les étoiles. Ahh, les étoiles. Tout petit déjà, il est attiré par l’immensité du ciel. Un amour qui ne se démentira jamais. Il commence à rédiger très tôt des journaux amateurs qu’il distribue au sein de sa famille et de leurs amis sur ses découvertes scientifiques, il propose des almanachs précis sur les mouvements stellaires. Un peu en marge, celui qu’on regarde avec distance depuis le bord du champ alors qu’il a l’œil à son téléscope, est couvé par sa famille. Malheureusement, la fortune familiale s’effondre et sa mère et ses tantes se voient contraintes de déménager. L’heure d’essayer d’aller à l’école à sonner, et Lovecraft envisage une carrière d’astronome. Malheureusement, il est un élève moyen en mathématiques.
Adieu carrière scientifique, d’ailleurs il ne sent pas la santé de continuer à aller à l’université. Pour autant il n’est plus le reclus qu’il a été. Il s’est fait des amis. Ils ont des jeux, ils créent une association de détective tant il se passionne pour les aventures de Sherlock Holmes. Car il lit beaucoup. De tout, y compris du pulp magazine, littérature populaire bien souvent sans envergure. Alors qu’il traverse une période dépressive dûe à son incapacité à réaliser son rêve et son échec scolaire, il écrit dans le courrier des lecteurs de certains pulps et à force de critiques, parfois acerbes voire comiques notamment sur l’astrologie, il va nouer des contacts qui vont lui permettre de se lancer dans le journalisme amateur. C’est ce tremplin qui permettra à Lovecraft d’envisager l’écriture comme remède à ses névroses. Je condense et schématise volontairement car le but de cette revue n’est pas de vous raconter en détail le livre, mais de vous montrer à quel point le texte est riche, détaillé, précis et documenté.
Facette méconnue de Lovecraft, il possède un humour décapant, la preuve avec cette réponse faite à un astrologue dénommé Hartmann, ici déformé en Francisco artmano dans un courrier des lecteurs :
«Le transit croisé de Jupiter et d’Uranus au-dessus du soleil et de la lune alternativement radiaux le 9 mars 2448 prouve sans ambiguïté que le monarque américain sera renversé cette année-là lors d’un soulèvement populaire emmené par le général José Francisco Artmano et qu’une nouvelle république sera fondée, la capitale étant ramenée de Mexico à Washington. Plus terrible encore, le trigone collusif quaternaire de Mars, Mercure, Vulcain et Saturne, dans la 13e maison du Cancer le 26 février 4954, sert de signe avant-coureur immanquable pour nous montrer le jour horrible où notre Terre périra infailliblement par suite de l’explosion subite et inattendue des gaz volcaniques qu’elle renferme.»
« […] le calcul du transit à rebours alterné excentrique de la future projection de la comète de Delavan autour du carré quartile progressé de l’inclinaison prolongée de l’orbite rétrograde de Saturne éclaircit la situation confuse en l’espace d’un instant, élucide le problème d’une manière aussi simple qu’évidente et rend à l’homme l’espoir sans lequel le cœur se briserait. » Bref, la comète de Delavan heurtera la Terre 56 ans avant l’explosion de notre planète et emportera tous les habitants du globe sur sa queue pour les emmener vivre « à jamais […] dans la paix et l’abondance » sur Vénus. Voilà le genre humain sauvé ! Tout le monde, cependant, n’en sortira pas indemne :
Je m’aperçois à mon grand regret que des fragments de l’explosion de la Terre en 4954 frapperont la planète Vénus où ils créeront d’énormes dégâts et causeront de graves blessures au señor Nostradamo Artmano, le descendant en droite ligne de notre talentueux professeur Hartmann. Le señor Artmano, sage astrologue, sera touché au crâne par un gros volume d’astronomie soufflé depuis la Bibliothèque publique de Providence, et son esprit se ressentira tellement de sa commotion cérébrale qu’il ne sera plus en mesure d’apprécier les préceptes divins de l’astrologie
H. P. Lovecraft, complété et cité par S. T. Joshi.
Pour autant ces éléments nous montrent deux choses et répondent à nos questions. Lovecraft était issu d’un milieu bourgeois qui véhiculait encore les valeurs coloniales du XVIIIe siècle, avec notamment tous les travers que l’on accorde à l’auteur comme son antisémitisme, son racisme notoire, et son caractère hautain. Néanmoins, Joshi, par sa présentation et sa prise de position affirmée et subjective, nuance ce tableau par une description précise des mœurs de l’époque, un travail de recherche documenté avec preuves à l’appui. Il analyse de manière perspicace le terreau familial de Lovecraft, nous livrant ainsi une compréhension nouvelle de sa personne, avec citations à l’appui et extraits de lettres. Pour autant, il ne l’excuse pas. Loin de là. Comme il le souligne dans la préface, son travail n’est pas fait pour glorifier l’homme mais bien pour restituer la vision de l’écrivain au travers du prisme de son époque avec tout l’arrière-plan politique, économique, intellectuel, social et culturel nécessaire. Son travail de biographe, aussi minutieux que celui d’un historien, le pousse obligatoirement à prendre parti, permettant ainsi au lecteur de pouvoir se forger sa propre opinion par accord ou désaccord avec l’une ou l’autre des positions. L’étude de sa pensée philosophique que l’auteur considère, » non seulement comme intéressante en elle-même, mais aussi comme formant la base d’une grande partie de son œuvre ainsi que de son comportement personnel » nous permet de voir avec justesse l’homme qui se cache derrière les mots, et ses textes prennent un sens nouveau. Il veut permettre à Lovecraft de pouvoir nous transmettre sa vision avec justesse, puisqu’il ne peut plus le faire lui-même.
Ce à quoi je fais allusion ici, c’est la cristallisation esthétique de ce sentiment brûlant & inextinguible où l’émerveillement se mêle à l’oppression, où l’imagination sensible ressent lorsqu’elle se confronte, avec ses limitations, à l’abîme vaste & provocateur de l’inconnu. Voilà qui a toujours été l’émotion majeure de ma psychologie, & bien qu’elle soit moins répandue chez la majorité de nos concitoyens, il s’agit néanmoins d’un facteur permanent & clairement défini dont peu de personnes sensibles sont entièrement dépourvues.
H. P. Lovecraft
Alors comment Lovecraft finit-il par tendre vers le cosmcisme, ce mouvement de pensée qui postule qu’il n’y a pas de présence divine connaissable dans l’univers et que les humains sont particulièrement insignifiants dans l’infini intergalactique ? À la lueur des éléments présentés, on déduit aisément les causes et les raisons qui conduisirent le maître de Providence à adhérer à cette philosophie. À mon sens, Lovecraft avait une hyper sensibilité aux choses qui l’entouraient, il était doté d’une très grande conscience de lui-même ainsi que de l’univers et de son immensité. Au fur et à mesure que sa connaissance scientifique croissait, un sentiment d’insignifiance, renforcé par sa propre expérience de vie, s’installa en lui. Fasciné par les vastes espaces interstellaires, et consterné par les plates préoccupations humaines, au sein d’une époque dans laquelle il se sentait en décalage, il bâtit cette doctrine qu’il entreprit de verbaliser dans ses écrits. Mais plutôt que de désespérer, au contraire, il essaya de profiter un maximum de son temps pour continuer à apprendre, s’émerveiller.
Tout finit à Providence.
Sa nature tripartite : l’amour de l’étrange et du fantastique, l’amour de l’ancien et du permanent, l’amour des vérités abstraites et de la logique scientifique.
S. T. Joshi
La vie de Lovecraft se déroule sous nos yeux. Parfois détestable, parfois poignant, souvent drôle et pertinent, l’homme ne laisse pas insensible que ce soit par ses prises de positions assez extrêmes, propre à la jeunesse par méconnaissance du monde, ou par son incacapcité chronique à rentrer dans le moule d’une société qui aime formater les gens afin que chacun y joue son rôle. Il existe cependant un point de bascule assez frappant dans sa vie, un moment charnière qui transformera l’homme : son passage à New York. Il y passera deux ans suite à son mariage avec Sonia Davis, un échec retentissant pour celui qui est assexué et ne vis que pour la transcendance intellectuelle. Son racisme et son antisémitisme atteignent des hauteurs répugnantes qui se manifestent notamment dans un texte écrit à cette période alors que sa production littéraire au sein de la mégalopole est assez maigre, Horreur à Red Hook. La ville cosmopolite l’étouffe, seuls ses amis, intellectuels comme lui, lui permettent de tenir le coup. Pourtant, à bout nerveusement, et appauvri au delà de l’inimaginable, nous le plaignons. Comment peut-on vivre avec seulement 2 dollars pour se nourrrir par semaine ? Comment supporter de le voir se faire voler ses costumes alors qu’il n’a déjà pas d’argent et que son apparence et inestimable pour lui ?
En fait, il y a peu de personnes inutiles & ratées qui me découragent et m’exaspèrent plus que ce vénérable Ach’Pé-El. Je connais peu de personnes dont les accomplissements sont si éloignés de leurs aspirations ou qui, en général, ont encore moins de raisons de vivre. Il me manque toutes les aptitudes que je souhaiterais avoir. J’ai perdu, ou vais probablement perdre, tout ce que je chéris. D’ici une décennie, à moins que je ne puisse trouver un travail qui me rapporterait au moins dix dollars par semaine, je devrai choisir le chemin du cyanure, puisque je ne pourrai plus garder les livres, les tableaux, les meubles et autres objets familiers qui sont ma seule raison de rester en vie […]
H. P. Lovecraft
Il faut parfois pourtant traverser les flammes de l’enfer, pour renaitre : lui a été forgé dans les braises de New York. Son retour à Providence, avec tout ce qu’il affectionne, ses batisses coloniales, ses jardins apaisants, ses sept collines qui dessinent leurs profils dans l’encadrement de sa fenêtre, sera l’eau qui refroidit le fer chauffé à blanc. Un nouveau Lovecraft apparait, et ses textes ne seront plus jamais les mêmes. C’est là, dans les mois et années qui suivent le retour, qu’il va écrire deux de mes textes préférés : L’affaire Charles Dexter Ward et Les Montagnes Hallucinées. Le premier n’est ni plus ni moins qu’autobiographique en un sens tant les références à lui-même sont nombreuses, et bien que Joshi nous présente pour chaque période une étude minutieuse et détaillée de chaque texte dans leur contexte, apportant des éléments que seules les sources personnelles de Lovecraft, telles des lettres, des carnets, des notes griffonnées nerveusement peuvent étayer, il n’est nul besoin de cette analyse pour comprendre, après ce que nous venons de lire, en quoi ce texte est très personnel, tel une thérapie. Lovecraft évolue. Ses nombreuses relations épistolaires, car il ne refuse jamais de répondre à quelqu’un qui le contacte, cumulant jusqu’à presque 97 entrées de correspondances en cours à la fin de sa vie, lui permettent de revoir sa pensée philosophique, d’affiner sa compréhension du monde, à tel point que le Républicain aryaniste conservateur convaincu du début du XXe siècle va se transformer en socialiste, votant même pour Roosevelt avec son New Deal à l’orée de sa dernière décennie. Il révise sa position sur les gens de couleurs et devient plus tolérant au fur et à mesure qu’il s’ouvre et voyage, au point qu’il souhaite lui-même que certains écrits de jeunesse dans son journal amateur, The Conservative, puissent disparaitre. Joshi nous décrit dans le détails ses excursions et voyages à partir de carnets dédiés écrits de la main même de HPL, dont le plus célèbre qui fut édité rapporte un voyage au Québec qui changera drastiquement son jugement sur les non anglo-saxons qu’il détestait tant auparavant.
L’homme grandit. Le carcan étouffant de son éducation et du terreau de sa jeunesse se fissure mais trop tardivement : il a gâché son temps il le sait. La pauvreté s’insinue de plus en plus, au fur et à mesure que les années passent, et ce qui pourrait lui permettre de subvenir à ses besoins, à savoir son talent et sa culture littéraire, il refuse de les brader. Il n’a même pas soumis L’affaire Charles Dexter Ward aux maisons d’éditions alors que certaines s’intéressent, sans qu’aucun projets n’aboutissent, à ses écrits et réclament un roman. Il a réussit à comprendre qu’au travers du fantastique, de la SF ou de l’horreur, les genres littéraires qui l’attirent, il pouvait faire une critique sociale, et présenter sa vision de la position de l’homme dans l’ordre des choses, notamment à partir de ses lectures scientifiques qui à l’époque exploraient beaucoup de directions différentes (certaines sont d’ailleurs aujourd’hui démenties, notamment par Einstein). Son érudition scientifique qui transparait dans ses textes n’est pas feinte et trouve sa source dans ses passions de jeunesses et des rêves irréalisés. Sa vision artistique ne se marchande pas sur l’autel du mercantilisme et du capitalisme qui selon lui salit tout. Il est un esthète et en tant que tel préfère mourir avec ses idées plutôt que de se vendre. Il s’abreuve de la substantifique moëlle de chaque livre, chaque échange, chaque voyage, quitte à sacrifier son alimentation. La connaissance comme sustentation. Malheureusement, et j’aimerais pourtant que ce soit vrai, la connaissance ne permet pas au corps de survivre, et sans corps, pas d’esprit. Lovecraft, qui a finit par réussir à trouver des motifs de satisfaction et de plaisir dans la vie développe un cancer de l’intestin grêle diagnostiqué beaucoup trop tard et meurt, stoïque et silencieux tel un gentleman, le 15 mars 1937. Il est incroyable de constater qu’il a tenu jusqu’à bout à son statut d’intellectuel, au point de tenir un journal de son hospitalisation jusqu’à ce qu’il ne puisse plus écrire, déchiré par la douleur. C’est lorsque le New York Times publie son carnet de malade quelques jours plus tard, que ses amis New Yorkais apprennent la triste nouvelle.
Sa première publication posthume, mais certainement pas la dernière, nous en sommes témoins. Howard Phillips Lovecraft est enterré au cimetière de Providence – Rhode Island, en petit comité avec son unique tante restante, sa mère étant morte de folie en 1921. Il avait 47 ans.
La résonnance.
Alors que nous approchons de la fin de cettre revue, qui est allée bien au-delà de ce que j’aurais imaginé, j’aimerais répondre à cette question posée en début d’article : pourquoi ce livre de près de 1800 pages, si j’additionne le total des deux volumes, m’a-t-il autant marqué ? En quoi l’histoire d’un auteur méconnu de son vivant, raciste, mysogine par endroit, mais aussi sensible, intellectuel, intelligent, cultivé, et curieux a-t-elle pu me fasciné ?
Tout d’abord que les choses soient bien claires : je ne cultive aucune forme de racisme ou de mysoginie quelconque, mais ça je pense sans doute que ça transparait dans ce blog. L’oeuvre d’HPL, m’avait frappé bien avant que je me confronte à l’homme. Son cosmicisme résonnait en moi de manière particulière, car très tôt j’ai développé de mon côté semblabe philospophie alors même que je ne l’avais pas lu, ni été influencé. Et c’est là une des pierres angulaires de mon expérience de lecture : la résonnance de la perception du monde. De bien des manières ce livre m’a permis de comprendre comment son expérience de vie à pu lui permette de produire une oeuvre unique, d’une qualité rare. Comment sa sensibilité, son raffinement ont été une malédiction et une bénédiction. J’y ai vu bien des choses. Je me suis senti beaucoup moins seul d’un seul coup. Ce que certains appelle pessimisme, moi je l’appelle réalisme. Grâce au travail sensationnel de S. T. Joshi, tellement bien agencé et fluide dans sa narration, j’ai pu pendant un mois partager le quotidien de quelqu’un qui hormis des travers détestables propres à son époque, était d’une rare intelligence, d’une profonde sensibilité, dans une grande détresse parfois, mais qui plaçait l’intellectuel au dessus de tout. Il a toujours su garder son flegme tout britannique, lui qui prêtait allégeance à la couronne d’Angleterre. Cette personnalité m’a vraiment interpellé, résonnant profondément quant à ma philosophie, et ma vision du monde.
Pour encore plus mettre en balance ce que je viens de dire, ma relectrice N°1 me fait remarquer que je devrais peut-être, au vu du pavé qui s’annonce à lire pour vous, découper ma revue et la publier en deux parties, en faire un autre article pour plus tard. Non, je ne le veux pas. Ceci est ma trace, ma petit oeuvre à moi, modeste, dans l’infini de textes qui peuplent notre monde, et s’il il est trop long pour vous, trop indigeste, tant pis. Tout comme Lovecraft, le seul lecteur que j’ai en tête lorsque j’écris, c’est moi. Et pour ça je ne transigerai pas avec ma prose.
Pour clore cet article, je dois vous confier que suite à cette lecture beaucoup de chose me sont passé par la tête. Comme je l’ai dit en ouverture, ce soir là lorsque j’ai terminé cette biographie, je ne pouvais le quitter, et mon esprit vagabonda un moment avant de prendre mon livre et de lire La Cité Sans Nom. Tout en lisant me vint une idée, une vision. Tout d’abord je repensai à cet expérience de journalisme amateur. Et si mon blog était mon journal amateur ? Et si cet espace que j’ai depuis bientôt 5 ans était cet endroit où je pouvais y transmettre ma vision du monde ? Ainsi renaisse les phénix. Puis dans la continuité un autre élément me percuta. Adolescent je rêvais de vivre aux USA, ou du moins de les visiter. À 45 ans je n’ai toujours pas concrétiser ce rêve. Faute d’opportunités, de moyens. Et si ? Et si ce premier voyage là-bas, avant de me conduire dans le Maine, que j’ai beaucoup parcouru en livre à cause d’un autre auteur, passait, pour sa première étape, par Providence, avant de remonter au travers de la Nouvelle Angleterre, via Kingsport, Dunwich, Arkham puis vers Bangor. Bien sûr, si j’arrive jusque là…
Conclusion
Pourquoi cela est-il magique ? Exploitée minutieusement, cette correspondance monumentale permet de retracer le fil quasi quotidien de la vie de Lovecraft tant elle fourmille de détails, de sa liste de course New Yorkaise avec les prix correspondants aux horaires des changements de car lors de longues excursions.
Joshi nous expose son quotidien et le met en parallèle avec son oeuvre. Tel le cycle de la vie, dont il estimait n’être qu’un des multiples grains insignifiant de passage, il a été inspiré par d’autres comme Chambers, Bierce, Dunsany, Poe, puis dans une perpétuation, offrit ses idées, son oeuvre à l’imitation, partageant son univers avec Robert E Howard, Clark Ashton Smith, Robert Bloch, August Derleth – que je ne porte pas particulièrement dans mon coeur, même avant la lecture de ce livre – chacun rajoutant sa personnalité et sa sensibilité par dessus, et il nous invite, nous, maintenant, à perpétuer la fiction d’horreur fantastique, à reprendre le flambeau et à faire nôtre ses yog sotthtories, comme il les appelait.
Je suis Providence est une biographie colossale sur un auteur devenu incontournable et qui je l’espère à présent est immortel, à la manière d’un shakespeare ou un Hugo. S. T. Joshi nous restitue sa vie et sa philosophie, tant dans leurs aspects négatifs que dans la manière dont il a transformé la littérature. Le Maître de Providence s’avère être un commentateur avisé et piquant des événements de ce début de XXe siècle. Sous la plume du biographe, le quotidien s’écrit, l’auteur fantastique devient humain avec tout ce que cela implique. Nous sortons de cette expérience avec de nouvelles clés de lecture quant à son oeuvre. Les mythes mensongers nés à la fin des années 50, malheureusement véhiculés en grande partie par celui qui permit que son oeuvre fut publiée, sont battus en brèche, pulvérisés. Le reclus de Providence, n’était finalement pas si reclus que ça. Mais pour le découvrir, il vous faudra faire comme moi, et prendre le car. Il parait que le chauffeur vient d’Innsmouth. Vous verrez, il est sympa. Alors qu’attendez-vous ? Montez. Regardez, il n’y a pas de lune ce soir, on voit très bien les étoiles. D’ailleurs, là-bas dans le champs, un homme nous fait au revoir, debout près de son téléscope.
Note : 11/10
Bonsai!
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Aujourd’hui je ne vais pas vraiment vous parler de Lovecraft qui, comme vous le savez peut-être, est un des mes auteurs préférés, mais plutôt de celui qui a su donner vie à cet univers cosmique incroyable, François Baranger. Artiste né en 1970, aux multiples talents, romancier, illustrateur et concept designer pour le cinéma (Harry Potter, Le Choc des Titans) ainsi que pour des jeux video, il nous dit avoir découvert Lovecraft adolescent et très vite avoir eu envie d’illustrer les textes, notamment son préféré : Les Montagnes Hallucinées. Il se trouve que c’est le mien également, alors comment dire que lorsque ces magnifiques livres sont sortis, je n’ai pas caché mon envie de les avoir, ce qui conduisit une de mes filles, de 12 ans à ce moment là, à prendre sur son argent de poche pour me l’offrir à Noël. Probablement que cette couverture incroyable a stimulé son imagination, a éveillé quelque chose en elle au point de vouloir me l’offrir, et qu’elle me rejoindra un jour par delà ces montagnes plus hautes que l’Everest, où la folie guette. En attendant je la remercie tendrement et lui dédicace cette revue. Bisous, et encore merci ma puce.
Quatrième de couverture :
« Corona Mundi… Toit du Monde… »
Toutes sortes de formules fantastiques nous vinrent aux lèvres tandis que nous contemplions, depuis notre point d’observation vertigineux, l’incroyable spectacle.
Arkham, 1933. Le professeur Dyer, éminent géologue, apprend qu’une expédition scientifique partira bientôt pour l’Antarctique avec pour ambition de suivre les traces de celle qu’il avait lui-même dirigée en 1931. Dans l’espoir de dissuader cette tentative, Dyer décide de faire un récit complet des tragiques événements auxquels il survécut, cette fois sans omettre les passages qu’il avait écartés à son retour, de peur d’être pris pour un fou. Deux ans plus tôt, les navires affrétés par l’université Miskatonic avaient accosté le continent glacé au début de l’été austral, et le contingent de quatre professeurs et seize étudiants s’était mis aussitôt au travail. Les premiers résultats ne s’étaient pas fait attendre et le biologiste de l’expédition, le professeur Lake, était parti de son côté avec plusieurs membres de l’équipe afin de suivre une piste fossilifère prometteuse. Au bout de quelques jours à peine, il avait annoncé par radio avoir découvert de stupéfiants spécimens d’une espèce inconnue, extraordinairement ancienne, avant de cesser toute communication après une terrible tempête. Pressentant le pire, Dyer s’était porté à leur secours le jour suivant. Ce qu’il avait découvert sur place dépassait ses craintes les plus folles…
Paysages déserts glacés, créatures innommables vieilles de plusieurs millions d’années découvertes dans un état de conservation anormal, étranges structures géométriques au sommet de montagnes noires, plus hautes que l’Everest… Cette nouvelle de Lovecraft a inspiré des générations d’auteurs et de réalisateurs, de John Carpenter, lorsqu’il réalise The Thing, à Guillermo del Toro qui rêve de la porter à l’écran.
Fasciné depuis toujours par l’univers de H.P. Lovecraft, François Baranger, illustrateur reconnu dans le monde pour ses talents de concept artist pour le cinéma et le jeu vidéo, s’est attelé à la tâche « cyclopéenne » de mettre en images ses principaux récits.
Mon avis :
Pièces maîtresses parmi ma collection, ces deux tomes, parus à un an d’intervalle, sont d’une qualité rare. Une préface de Maxime Chattam, auteur à succès de thrillers mais que je connais plus pour sa casquette de rôliste, ouvre le tome et comment ne pas être d’accord avec lui lorsqu’il parle du travail de François Baranger. L’essence même de l’histoire semble avoir été cristallisée dans de somptueuses photographies alors que nous avons affaire à des illustrations. Il a su donner vie de la plus belle des manières à un récit des plus fantastiques. Dans une interview récente au podcast C’est plus que de la SF (lecteur en bas de l’article), François Baranger expliquait que ce qui le fascinait dans les textes lovecraftiens, ce n’était pas l’horreur, mais le mystère. Avec un don remarquable pour les jeux de lumière, camouflant certaines zones ou en mettant d’autres en avant, par teintes ou par détails météorologiques, il instaure une ambiance, qui petit à petit s’empare de nous, comme la folie se saisit des protagonistes. Les ombres, le choix de l’angle de vision, contribuent à susciter l’angoisse chez le lecteur, encore plus particulièrement dans le tome 2 je trouve, où les souterrains et galeries très loin de la lumière du jour permettent à l’imagination de s’enflammer.
Mais c’est peut-être encore dans ce qu’il y avait de plus compliqué à montrer en pleine lumière qu’il excelle. François Baranger a su donner vie à une cité dont les descriptions de Lovecraft rendaient difficile la perception. Avec ses angles et ses formes géométriques atypiques, le défi était de taille. Grâce à lui, nous pouvons voir, sous nos yeux ébahis, la cité des Anciens prise dans les glaces éternelles de l’Antarctique, dérouler ses paysages sur des kilomètres ! Les détails sont d’une minutie incroyable, et comme les héros du texte nous avons le souffle coupé, les nappes de nuages contribuant toujours à nous laisser baigner dans un mystère angoissant.
Ce travail, fait par numérique pour des raisons évidentes de gain de temps et de praticité, permettant de tester plusieurs couleurs et trames, magnifie le texte de Lovecraft. Les tons bleutés et gris rendent le froid omniprésent et j’ai dû plus d’une fois aller chercher un plaid lors de mes lectures tardives au cœur de la nuit. La grande taille des albums (27 x 35,7 cm) est parfaitement adapté à ce style de livre visuel, et Baranger indique qu’il voulait ce format, il avait une idée très précise depuis longtemps de ce qu’il voulait faire. Un projet mûri sur plusieurs années et concrétisé une première fois avec L’Appel de Cthulhu, première album illustré de la série, ce qui était un choix logique au vu de la popularité du titre et lui permettait de vérifier la viabilité commerciale du projet afin de réaliser son véritable rêve de gosse : donner vie à son texte favori dont les images le hantaient depuis sa première lecture.
Chaque tome possède 64 pages. Les illustrations sont en double page et le texte en surimpression. Il est parfois dur à déchiffrer, mais je dis ça vraiment pour pinailler. Certaines phrases sont mises en exergue par une police plus grosse de manière à faire ressortir l’élément phare qui a inspiré à l’artiste son choix d’illustration. Pour autant, je ne m’attarderai pas sur le texte, j’ai déjà donné mon ressenti sur ce roman de Lovecraft que l’on retrouve dans le tome 2 du mythe édité chez Bragelonne, et dont il s’agit ici exactement de la même traduction. C’est peut-être là, où le bat blesse. Depuis que j’ai lu la nouvelle édition intégrale traduite par David Camus chez Ménmos, que j’ai lu et écouté chez Audible la version anglaise, je suis profondément attristé de me dire que sur ces magnifiques illustrations ne se trouve pas surimprimée la meilleure des traductions réalisées. Heureusement pour les puristes, il existe aussi un version anglaise.
Conclusion
François Baranger nous offre une oeuvre titanesque, cyclopénne, qui je n’en doute pas, avec le temps et la rareté, deviendra collector. Après L’Appel de Cthulhu et Les Montagnes Hallucinées en deux tomes, il ne compte pas s’arrêter là, ce qui prouve que le succès est au rendez-vous aussi bien en France qu’à l’international. L’Abomination de Dunwitch est sorti fin 2022 et il travaille déjà sur Le Cauchemar d’Insmouth. Pour ma part, même si je pense rêver debout et que j’ai peu de chance que l’auteur puisse lire ces lignes, je rêverais de voir L’affaire Charles Dexter Ward, en double album également. C’est mon second texte préféré du Maitre de Providence, et je serais prêt à donner mon âme à Yog Sothoth pour ça. Bon peut-être pas… mais en tout cas mes euros à François Baranger. Allez, réjouissons-nous d’avoir un artiste d’un tel talent en France et souhaitons lui un vif succès afin d’avoir le plus de ces albums illustrés. Bravo l’artiste.
Note : 10/10
Bonsai!
Voici l’interview réaliser par le podcast C’est plus que de la SF :
Editeur : Bragelonne – Traduction : Arnaud Demaegd – Date de parution : 16/10/2019 et 21/10/2020 – 64 pages
Toutes les images présentées dans cet article sont la propriété exclusive de leur auteuret ont été proposé gratuitement par François baranger sur ses réseaux sociaux. La photo Entête d’article est la propriété de la Taverne et ne saurais être utilisé sous peine de Shoggoth au fond du lit.
Après bien des destinations exotiques, de déserts en glaciers, de lacs en plateaux, d’océans en souterrains, l’été est arrivé et il est l’heure de la moisson. À l’heure où j’écris ces lignes, aux heures sombres de la nuit, une bougie sur le coin de ma table, la canicule de juin vient de s’achever dans ma bien-aimée péninsule armoricaine, et une pluie salvatrice aux allures d’extincteur a succédé aux chaleurs infernales de ces derniers jours. Les ultimes incendies corporels se sont éteints laissant encore fumantes les ruines de nos illusions quant au changement climatique.
Mais canicule ou pas, ouragan ou pas, situation mondiale dramatique ou pas, fin d’année scolaire éreintante ou pas, qu’il y ait de la moutarde dans les magasins ou pas, j’avais un rendez-vous, un rendez-vous que je ne pouvais manquer, un rendez vous avec avec le tome 9 du Livre des Martyrs, paru le 17 juin dans toutes vos librairies favorites.
Et alors que la fin se rapproche, alors que je décompte les chapitres qui me séparent du grand final de cette fresque monumentale de presque dix mille pages, j’ai rassemblé mes notes de lecture du tome 7 afin de préparer cette revue et réussir l’incroyable pari que je me suis lancé il y a quelque temps, à savoir rattraper la parution. Il ne fait aucun doute que nous allons avoir la conclusion de la série pour la fin de l’année comme promis par Leha, et je compte bien être à jour sur mes revues d’ici là, prêt à dévorer l’énorme pavé que ce dernier tome promet d’être – et si certains aiment les gros gateaux, moi j’aime les gros livres – pour rédiger l’ultime revue du cycle. Mais est-ce que ce sera l’ultime article sur cet univers ? Non. Tout d’abord avec La Voie de l’Ascendance sur les rails, une nouvelle série de revues se profile. Ensuite, le cycle du Livre des Martyrs a tellement de matière et me fascine tant que je prévois des articles supplémentaires de lecture avec spoiler, ainsi que plein d’autres choses qui me trottent dans la tête. Je ne cesserai jamais de promouvoir cette série aux thèmes universels et authentiques qui fait partie de ces oeuvres qui marquent profondément leur genre et leur temps.
Mais pour l’heure, stoppons les anticipations et autres projections afin de revenir à notre propos principal et retrouver notre destination initiale vers le monde de l’empire malazéen. Alors laissez-vous embarquer par Steven Erikson, auteur canadien que je ne présenterai plus, tant j’ai déjà fait son éloge sur ce blog. Afin de mieux découvrir son oeuvre si vous ne le connaissez pas, je vous renvoie à mes revues sur les tomes précédents : Les jardins de la Lune, Les Portes de la Maison des Morts, Les Souvenirs de la Glace, La Maison des Chaînes, Les Marées de Minuit et Les Osseleurs. Le livre des Martyrs, ou Malazan Book of the Fallen dans son titre original, est une décalogie commencée il y a plus de vingt ans par son auteur et qui a enfin réussi à trouver sa place chez nous. En effet, depuis 2018, Leha s’est lancé dans la traduction et l’édition de cette œuvre, après deux échecs de publication chez Buchet Chastel et Calmann Levy, et approche du dénouement de la publication à grand pas : plus qu’un tome ! Encore une fois, tous mes remerciements aux éditions Leha et aux deux courageux traducteurs, Emmanuel Chastellière et Nicolas Merrien, qui ont eu la tâche immense de restituer avec justesse les mots de Steven Erikson.
Encore une magnifique couverture signé Marc «The Boss» Simonetti
Quatrième de couverture :
L’empire de Lether vacille.
Rhulad Sengar, l’Empereur aux Mille Morts, sombre chaque jour un peu plus dans la folie, entouré de flagorneurs et d’agents à la solde de son chancelier. La police secrète letheriie mène une campagne de terreur contre son propre peuple, les conspirations fleurissent. La corruption ronge l’empire, sous la menace d’une guerre imminente avec les royaumes voisins. L’avenir n’a jamais été aussi incertain, même aux yeux de l’Errant.
Parmi les champions venus défier l’empereur, Karsa Orlong et Icarium attendent leur tour : tous deux pourraient bien être capables de mettre un terme à son règne. Pendant ce temps, une bande de fugitifs tente de quitter l’empire. Fear Sengar est l’un d’entre eux. Il veut retrouver l’âme de Scabandari Œil de Sang, avec l’espoir qu’elle puisse sauver Rhulad, son frère. Mais le groupe voyage aussi avec le plus ancien ennemi de Scabandari : Silchas Ruin, frère d’Anomander Rake. Et ses motivations sont tout sauf claires, car les blessures dans son dos, causées par les lames de Scabandari, saignent encore.
Voici un roman brutal et poignant, entre guerre à grande échelle et quête intime, dans l’univers épique de Steven Erikson.
Mon avis :
Comme toujours le livre s’ouvre sur des remerciements et des cartes afin d’aider à la lecture. N’oublions pas que l’auteur n’est pas qu’écrivain, mais aussi rôliste et wargamer, sans parler de ses casquettes professionnelles, archéologue et anthropologue, et que les cartes ont leur importance dans ces loisirs.
Welcome back to Lether !
Ce que j’aime dans le fait de rédiger mes avis bien après leur lecture, c’est que lors de la rédaction de ces revues, je me replonge dans chaque tome, et bien que je connaisse son dénouement, sa structure, son ossature m’apparait différement. C’est comme le voir sous un nouvel angle. Cela me permet souvent de lier le titre du tome à son contenu. Car Erikson choisit des titres pour le moins ambigus au premier abord. Bien souvent en fait il reflète les thèmes du livre.
Il n’y a aucune vertue dans la propriété.
Tehol
Chaque tome de cette série à sa propre tonalité, sa propre voie. Il n’y a jamais un tome qui ressemble à l’autre sauf peut-être pour le 3 et le 6 qui peuvent avoir une structure sensiblement similaire. Dans le cas de celui-ci, l’idée dégagé par le titre Le Souffle du Moissonneur danse tout au long de la lecture dans nos têtes. Ce tome à première vue semble être la suite du tome 5. Erikson va explorer les conséquences politiques et sociales d’une conquête aux travers des thèmes de l’assimilation et de la collaboration. Mais Letheras est une société basée sur l’argent, et l’argent corrompt tout. Trahisons, complots, polices politiques. L’auteur aborde toutes les dérives du libéralisme et le commerce à outrance et montre que malgré la défaite militaire, celle-ci triomphe en coulisse. Sous couvert de nous conter une histoire épique s’il en est, l’auteur nous interroge profondément sur nous-même. Heureusement au milieu de cet imbroglio politique qui nous perd à dessein pour mieux reflèter le nid de vipères dont il s’agit, chacune s’entremêlant, se contorsionnant, se confondant, et se mordant à qui mieux mieux, nous retrouvons avec délice deux personnages, Tehol et Bugg, qui sont des îlots de joie et de bonheur au milieu d’une lecture qui parfois frôle avec l’horreur, à la limite du supportable, notamment lors de scènes horribles d’abus physiques et psychologiques. Autant je n’ai aucun mal à regarder ou lire des passages de guerre, autant la violence gratuite et délibérée juste pour un plaisir sadique me torture. Et pourtant Steven Erikson joue avec justesse ces scènes dures, il est sans concession sur la nature humaine, il la montre telle qu’elle est, dans toute son imperfection et sa répugnance, mais parfois aussi dans toute sa grandeur et sa beauté.
Pourtant dans son cœur, il ne pouvait trouver aucune raison, aucune récompense l’attendant au delà de cette lutte éternelle.
Steven Erikson
La conquête, la soumission, le contrôle, l’exploitation et l’extinction. Voilà le schéma que nous présente l’auteur, au travers d’une civilisation corrompue. Et que nos actions semblent bien maigres et inutiles dans ce contexte. Chaque protagoniste semble vouloir donner un sens à tout ceci, trouver des réponses. Mais il n’y en a pas. Beaucoup de protagonistes se complaisent dans la futilité et les mesquineries, ne voyant même pas qu’ils créent eux-mêmes leur propre extinction. Car comme le suggère le titre, il y a un moment où il faut récolter ce que l’on sème. Où c’est l’heure de la moisson. Les populations oppressées peuvent se relever, les femmes et les hommes qu’on croyait avoir brisés peuvent nous surprendre, ou pire, tout le monde peut s’entretuer sans qu’il n’y ait de vainqueur, sans qu’on distingue la couleur des camps, juste le rouge du sang identique pour chacun. Le vent souffle et balaye nos espoirs, rendant futile tout ce qui a été accompli. Le souffle de mort, le souffle du moissonneur efface tout. La futilité est au cœur du livre. Et pour le mettre en relief, Erikson utilise un stratagème formidable : la frustration. Plusieurs fois, des situations évoluent pour revenir à leur point de départ, et le lecteur enrage de voir que tout ce qui a été tenté n’a finalement pas amené ce qu’il espérait.
Futilité, tristesse, désillusions. Si un groupe de personnages symbolise très bien cela c’est le groupe de Fear, Udinaas, et du frère même d’Anomander, Silchar Ruin, qui nous emmène vers un dénouement tout sauf prévisible. Chacun porte son fardeau, et les associations parfois sont surprenantes. On peut poursuivre le même but sans pour autant être allié. Mais comment peut bien se terminer une telle aventure ?
Ils sont ici, sur nos rivages. Les malazéens sont sur nos rivages..
Et quoi de mieux pour illustrer la futilité et le souffle de la mort suggéré par le titre, que de voir une armée en action ? C’est le retour des Osseleurs et nous voyons enfin un tome qui propose une suite directe au précédent, c’est une première ! Nous retrouvons avec plaisir des personnages qui sont devenus avec le temps de véritables compagnons auxquels on s’est attachés. Hellian, Violain, Gesler, tous ces soldats que j’ai tant appréciés sont de retour. Et là où la fantasy classique glorifie le combat, comme il nous l’avait déjà démontré dans les précédents tomes, Erikson, lui, n’y dépeint aucune gloire, aucune fierté. Il y montre l’absurdité du champ de bataille, sa nature chaotique et injuste. Chacun accomplit sa mission sans trop se poser de questions devant ce carnage, et l’instinct prend le pas sur la logique et la réflexion. La futilité y prend tout son sens. Qu’il est futile de nettoyer ses armes alors qu’on aura même pas le temps de s’en servir, assassiné par derrière ou pulvérisé par une jureuse. Futile encore de penser à son prochain lit ou à son prochain repas. D’ailleurs les vétérans le font bien comprendre et ne s’encombrent pas de cela. On est loin du standard du héros providentiel et de la prophétie. Nos soldats sont des gens de tous les jours, ils saignent et ils meurent, et personne n’est épargné, animaux et la nature y compris, la guerre touche tout ce qui l’entoure et dévaste tout. Surtout l’innocence… surtout l’innocence.
L’auteur ne m’a pas épargné personnellement, provoquant mes larmes (pour la seconde fois du cycle) non pas une, mais trois fois. D’une manière inattendue tout d’abord, au travers d’une scène d’une justesse, d’un altruisme si puissant que peu de gens sont rester de marbre si j’en crois les témoignages lus et vus sur la toile. Puis cruellement ensuite, brisant mes retrouvailles à peine célébrées avec un personnage que j’aime tant, je porte probablement bien mon pseudonyme, les Imass étant très sensibles et Onos Outil’an particulièrement, comme vous le découvrirez si vous lisez ce cycle incroyable. Mais il m’a fait rire aussi, beaucoup, sergent Hellian, je te remets la palme de la conquête la plus marrante qui ne m’ait jamais été donné de lire.
Épique, donc, et grandiose, l’immensité et la richesse de cet univers ne cessent de nous éblouir. Erikson manie à merveille l’art du point de vue et dépeint avec justesse les motivations de chacun sans pour autant nous laisser deviner la conclusion de tout ceci. Du cynisme des soldats malazéens à l’absurde de Tehol et Bugg, jusqu’au tragique, sa plume fait mouche et nous avons du mal à fermer le livre, nous emmenant tard au cœur de la nuit ou tout se confond et semble incertain. La convergence des intrigues entamées dans le tome 6 se poursuit, même si, on le sent, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour compléter la mosaïque que l’auteur tente de nous révéler, mais pour autant nous n’avons pas envie que cela se termine. Oh, non.
Conclusion
Ce livre est plus profond que tous les autres. Erikson creuse là nos travers les plus vils, nos peurs. Ce que nous nous faisons pour nous sentir vivant. Certains enjeux posés dans le tome 5 vont enfin avoir leur résolution mais bien évidemment pas de la manière forcément attendue. Comme souvent chaque réponse amène d’autres mystères et nous pousse encore plus avant. La moisson est venue et ne sera pas au goût de tous les protagonistes, ni du lecteur parfois.
Pour les plus sages d’entre nous, passées les premières sensations laissées par notre lecture, le questionnement est de mise sur notre condition, car bien qu’il s’agisse d’un roman de fantasy, ses thèmes sont profondément humains. Steven Erikson prouve que la littérature de genre n’est pas à galvauder, qu’elle peut être profonde et éminemment pertinente. Ce tome m’a touché profondément, il m’a fait vibrer de bien des manières. L’un des meilleurs de la série en ce qui me concerne, si ce n’est le meilleur.
Oui, tant de talent, tant de profondeur dans la littérature de genre, ça donne envie de continuer à balayer avec son petit pinceau la terre qui recouvre les traces archéologiques de l’histoire de ce monde et d’en découvrir encore plus, d’explorer toujours plus, d’en (re)lire toujours plus. En même temps, l’archéologie, par sa douceur dans le dévoilement des vestiges, c’est poétique. Et la prose d’Erikson c’est de la poésie à n’en pas douter.
Note : 8,5/10
Comme toujours pour les anglophones, je vous donne le lien vers le podcast plébiscité par Steven Erikson lui-même puisqu’il y a donné déjà plusieurs interviews. Ici il s’agit de l’épisode final sur le tome 7, où l’auteur revient avec l’équipe de Ten Very Big Books sur le livre.
Je vous remercie infiniment de m’avoir lu et vous souhaite à tous de chouettes lectures.
Après les rivages étincelants du Lac Azur, le sable brûlant de Sept-Cités, les remparts de Capustan, les rivages de Corail la Noire, les hauts-plateaux Teblors, nous continuons l’aventure malazéenne en français grâce aux éditions Leha. Un voyage concocté par Steven Erikson, auteur canadien que je ne présenterai plus, tant j’ai déjà fait son éloge sur ce blog. Afin de mieux découvrir son oeuvre si vous ne le connaissez pas, je vous renvoie à mes revues sur les tomes précédents : Les jardins de la Lune, Les Portes de la Maison des Morts, Les Souvenirs de la Glace et La Maison des Chaînes. Le livre des Martyrs, ou Malazan Book of the Fallen dans son titre original, est une décalogie commencée il y a plus de vingt ans par son auteur mais qui a peiné à trouver sa place chez nous. Depuis 2018, Leha s’est lancé dans la traduction et l’édition de cette œuvre, après deux échecs de publication chez Buchet Chastel et Calmann Levy.
À l’heure où j’écris ces lignes, la couverture du tome 9 vient tout juste d’être dévoilée par Leha et j’ai fini depuis un mois la lecture du tome 8 publié avec un peu de retard. Tout de même soyons indulgent, le tome était énorme et devait donc être une véritable gageure technique à assembler, de plus c’était la toute première fois depuis le début de l’aventure éditoriale que nous avions un délai. Malgré tous les aléas de la vie, la pandémie, et bien d’autres catastrophes, il semblerait que la série finisse dans les temps, alors haut les cœurs ! Le monde pourra s’écrouler, nous aurons la fin de cette formidable épopée avant que l’année soit écoulée. 2022 sera malazéenne ou ne sera pas ! Leha, vous êtes presque au bout de votre pari, vous avez été d’une régularité exemplaire envers les fans de la série, en ne sacrifiant rien à la qualité de l’oeuvre sur l’autel du profit, et pour cela je vous en remercie ainsi que le travail acharné des traducteurs, Nicolas Merrien et Emmanuel Chastellière qui n’ont pas démérité. Espérons que ce voyage aura été aussi inspirant et enrichissant pour vous que pour nous.
2022 sera malazéenne ou ne sera pas !
moi
La fin d'une aventure fabuleuse est en train de se dessiner et elle sera grandiose… mais comment pourrait-il en être autrement…? 😉
Aujourd’hui nous attaquons la revue du cinquième tome traduit par Nicolas Merrien. Je poursuis ainsi l’expérience commencée il y a deux ans et demi maintenant, à savoir chroniquer tous les tomes. Bon d’accord j’ai pris du retard, mais il y a un aspect positif finalement à tout ça, puisque ma vision à long terme de l’oeuvre est plus affutée et que cela me permet d’avoir plus de recul sur la place qu’occupe chaque tome dans le cycle, ainsi que sur l’évolution du style de l’auteur.
Je rappelle que mes articles sont garantis sans spoiler. Cet exercice, difficile, ne m’empêche pas de vous parler des thèmes qui se dégagent et de vous partager les émotions ressenties lors de la lecture. Oui, même après tout ce temps, alors que j’ai lu ce tome à sa sortie lors de l’été 2020, son ambiance et sa saveur restent encore gravées dans ma mémoire, de manière indélébile, preuve s’il en est de la force qui émane de cette série. Alors, venez avec moi, venez faire un petit tour dans l’univers incroyable et magique du Livre des Martyrs de Steven Erikson.
Tehol Et Bugg sur les toits de Letheras par Marc « the boss » Simonetti
Quatrième de couverture :
Après des décennies de guerres intestines, les tribus tistes edur se sont enfin unies sous la férule du roi-sorcier des Hiroths, au prix d’un pacte aussi mystérieux qu’inquiétant.
Au sud, le royaume expansionniste de Lether se prépare pour l’accomplissement de l’antique prophétie qui le verra renaître en tant qu’empire : tous les peuples voisins, moins puissants que lui, sont désormais asservis. Tous, sauf les Tistes Edur. Mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’eux aussi ne tombent, écrasés sous le poids étouffant de l’or ou passés au fil de l’épée.
Alors que les deux parties se réunissent afin de conclure un traité crucial dont personne ne veut vraiment, d’anciennes forces se réveillent. Car derrière le conflit qui couve se cache une tout autre lutte : celle d’un dieu manipulateur anciennement trahi qui n’aspire plus qu’à la vengeance…
Situé chronologiquement avant Les Jardins de la Lune, Les Marées de Minuit étend l’univers tentaculaire de Steven Erikson en introduisant une foule de nouveaux personnages hauts en couleur et en creusant les soubassements de l’intrigue exceptionnellement riche du Livre des Martyrs.
Mon avis :
Comme toujours le livre s’ouvre sur des remerciements et des cartes afin d’aider à la lecture. N’oublions pas que l’auteur n’est pas qu’écrivain, mais aussi rôliste et wargamer, sans parler de ses casquettes professionnelles, et que les cartes ont leur importance dans ces loisirs.
Un nouveau continent, montrant toute l’étendue démesurée de ce monde.
À nouveau, le prologue sert à donner de la profondeur à l’univers et nous révéler des pans de la toile de fond qui nous ont amené aux évènements principaux du récit. Se joue, sous nos yeux avides de retrouver notre univers favori, une trahison dont les répercussions n’ont toujours pas fini d’ébranler le monde malgré les milliers de siècles qui nous en séparent. Ce prologue tragique donne d’ailleurs le ton pour une partie de l’ouvrage puisqu’il traite de la famille et des drames qui s’y nouent parfois, mais j’y reviendrai. Si je trouvais que les précédents volumes se référaient plus à Homère et son Illiade, Les Marées de Minuit tiennent plus à Shakespeare, et l’auteur l’a confirmé lui-même lors d’un podcast :
It is the first of the ten original Malazan books that is definitely a tragedy with fantastic elements, rather than a fantasy with tragic elements, and it set a precedent for the entire series and how I wanted to handle its conclusion in the final book.
Steven Erikson
« C’est le premier des dix livres originaux du cycle malazéen qui est certainement une tragédie avec des éléments fantastiques, plutôt qu’une fantasy avec des éléments tragiques, et il a créé un précédent pour toute la série notamment sur la manière dont je voulais gérer sa conclusion dans le livre final. » Steven Erikson
Pour ce cinquième tome, pas de retrouvailles, pas de suite en quinconce avec le tome 3. Nouveau set-up, nouveau décor, nouveaux personnages et nouvelles intrigues, bien que les choses nous paraissent moins confuses qu’auparavant lorsque certains éléments sont évoqués. Cela pourrait paraître redondant après le tome 2, alors que pas du tout. Au contraire, ce livre-ci apporte un vent de fraîcheur dont le titre évocateur coïncide parfaitement. Nous nous situons donc avant les événèments exposés dans les précédents tomes et notre unique lien avec l’ensemble réside dans le personnage de Trull Sengar, un tiste Edur que nous avons déjà croisé dans le tome 4, sans comprendre parfaitement tout de sa situation. Rassurez-vous, le tome 5 est plein de réponses, et notamment sur ce sujet, même si parfois cela soulève d’autres questions, mais c’est tout le sel de cette série.
La destinée ne sert qu’à justifier des atrocités. Un mot érigé telle une armure par les assassins afin d’essuyer toutes les réprimandes qu’on pourrait leur adresser. Un mot ayant vocation à prendre la place de l’éthique, au mépris de tout contexte moral.
Seren Pedac
Le livre nous présente d’un côté Lether, un empire qui se veut en apparence florissant et riche, dont l’expansion, sous couvert d’apporter la civilisation, ne sert que ses propres buts de richesse par le biais de l’exploitation de tous ceux qu’ils considèrent comme des sauvages. De l’autre, les Tistes Edur, une culture plus rurale et ancestrale, où les traditions ont une place importante. C’est une des trois races « Tiste », celle associée à l’ombre, et dont l’espérance de vie peut atteindre les 100 000 ans. Des deux côtés, deux familles qui vont nous permettre d’être témoin du téléscopage inéluctable de ces deux modes de vies, de ces deux cultures, alors que dans l’ombre le dieu estropié tire ses ficelles entre promesses empoisonnées et pactes corrompus, et que des dieux oubliés et retirés n’ont pas dit leur dernier mot.
Deux fratries, deux tragédies. Et si chez la famille Sengar, à la peau grise caractéristique des Edurs, celle-ci arrive assez tôt dans l’histoire, de façon brutale, nous laissant sans voix devant l’horreur qui se joue devant nos yeux révulsés, celle des Beddict de Lether coule lentement depuis des décennies, se dévoilant au fil de l’histoire, tel un poison dans les veines, chacun des frères portant son fardeau et le poids du destin à sa façon. Le thème familial est omniprésent à chaque instant, notamment la difficulté d’y trouver sa place, de s’y gagner un prénom à défaut d’un nom quand celui-ci est plus équivoque au sujet d’un autre membre, ou de s’y faire oublier. On y voit également le poids du passé qui nous accable, nous oblige, quand bien même on souhaiterait s’en affranchir. Et rôdant par dessus ça, le spectre de la mort, le spectre de leur mort comme celui de leurs parentés défuntes.
Quand bien même l’argent n’est qu’une idée, il recèle un certain pouvoir. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un vrai pouvoir. Seulement d’une promesse. Mais cette promesse suffit tant que chacun l’estime réelle. Qu’on cesse de le prétendre et elle s’effondrera comme un château de cartes.
Tehol Beddict
Alors que le drame se noue chez les Sengar, et que Lether jouit d’une confiance sans commune mesure en sa capacité à ne jamais faillir, un personnage nous offre des moments précieux de sourires, de rire, de légèreté, quand bien même il se livre à un jeu dangereux, c’est Tehol Beddict, qui ne serait rien sans son mystérieux et fidèle serviteur, Bugg. Le duo nous porte, nous donne envie de tourner les pages, nous laisse émerveillé par la qualité de ses dialogues savoureux. Les personnages de Tehol à Letheras et de Trull chez les Tistes Edurs, permettent de mettre en relief un autre thème, central également : celui du choc des cultures. D’un côté le capitalisme letherien, avec sa société de consommation de loisirs et ses dérives, de l’autre des traditions ancestrales, séculaires mais qui s’essoufflent en un sens, dû aux divisions internes. Et au milieu, Steven Erikson revisite à sa façon les guerres amérindiennes qui opposèrent le tout jeune état américain et des peuples qui voyaient leurs territoires fondre comme neige au soleil face à l’expansionnisme et l’impérialisme de la civilisation occidentale. Une critique acerbe du capitalisme tout autant qu’une réflexion profonde sur la pertinence des traditions et du refus de l’évolution. Et par des chemins et des moyens dissemblables, l’auteur nous montre que l’un comme l’autre peuvent aboutir à la même conclusion s’y on n’y prend pas garde, le maître avide de pouvoir ou de richesses, peut bien finir par devenir l’esclave qu’il pensait asservir.
Au cours de l’histoire, vous aussi peut-être vous attacherez à certains personnages, tout comme j’ai pu le faire. Seren Pedac, la letherie mélancolique, qui cherche elle aussi sa place en ce monde, ou encore Aureste, le forgeron Meckros qui se voit proposer une bien funeste tâche aux allures de marché avec le diable. Udinaas, l’esclave letherii, ou encore Plume-Sorcière qui sait lire les tuiles des Antres, une version plus rude et ancienne du Jeux des Dragons et ses Garennes. Dans la famille Sengar, je demande le frère, Rhulad, dont la convoitise se voit comblée de bien étrange manière et qui incarne à lui seul le mythe Shakespearien. Mais mon cœur déborde pour Trull, par lequel on place encore quelques espoirs dans la droiture, le respect, la loyauté, et surtout un sens moral. Encore une fois, l’auteur nous présente des personnages attachants et bien caractérisés, sur un canevas tissé de main de maître afin que chaque élément de l’histoire gagne en réalisme. C’est peut être parce que les thèmes qu’il aborde sont universels que cela nous touche autant. Enfin il n’oublie pas de parsemer le tout de scènes marquantes, surprenantes, épiques et tragiques, donnant à la fantasy une profondeur et un sens du spectacle jamais vu auparavant sauf peut-être chez Tolkien et Martin.
Conclusion :
Un livre charnière, qui rebat une partie des cartes distribuées. Cinq volumes dont on pourrait penser qu’ils sont indissociables et qu’ils forment une sorte de grande mise en place pour l’acte final. Pourtant chaque livre est bien une histoire complète, le tout s’assemblant parfaitement pour dévoiler une fresque où chaque carreau de cette mosaïque est unique et synonyme d’émerveillement. L’auteur a réussi l’incroyable de nous présenter à chaque fois quelque chose de différent tout en restant cohérent sur l’ensemble. La tonalité de ce roman est plus dramatique, tragique, shakespearienne, que tous les autres jusqu’à présent dans la série, tandis que les connections allégoriques à notre monde n’ont jamais été aussi évidentes. C’est peut-être pour cela qu’il m’a touché encore plus profondément. Steven Erikson se bonifie, à mesure qu’il avance dans son histoire et nous nous demandons si a un moment la qualité de son travail va cesser d’augmenter, puisque chaque tome est encore plus fort et intense que le précédent. Il grandit à chaque roman de son cycle et nous grandissons avec lui. De nouveaux protagonistes donc, que l’on espère ardemment revoir, alors que toujours sous l’ombre de sa tente décrépite, le Dieu Estropié sourit tout en préparant ses plans et poussant ses pions.
Notes : 10/10
Comme toujours pour les anglophones, je vous donne le lien vers le podcast plébiscité par Steven Erikson lui-même puisqu’il y a donné déjà plusieurs interviews. Ici il s’agit de l’épisode final sur le tome 5, où l’auteur revient avec l’équipe sur la genèse et les thèmes développés dans le livre.
Un dernier mot pour dire qu’au jeu du classement qui commence à se profiler en raison du nombre de volumes déjà parus, mon top 3 a quelque peu évolué. Avec le recul et la lecture des tomes suivants, je ferais ce classement (en numérotation de tome) : 5 – 2 – 7. Le 3e et le 8e ne sont pas si loin pourtant, mais il est si difficile de faire un choix devant tant de qualité. Bien évidemment nous n’avons pas tous le même podium, c’est pourquoi je vous invite à me dire en commentaire votre top 3, je suis curieux de voir vos préférences. Rendez-vous dans un an pour un classement final de tout le cycle.
En attendant on se retrouvera très bientôt, sous les remparts d‘Y’Ghatan, l’auto-proclamée Première des Cités Saintes de Sept-Cités…
Je vous remercie infiniment de m’avoir lu et vous souhaite à tous de chouettes lectures.
Cher lecteur, chère lectrice, nous continuons notre voyage au cœur de cet automne brumeux et pluvieux. À l’heure où j’écris ces lignes un crachin venteux piquette ma maison, ponctué de-ci de-là de rafales qui s’écrasent en mitraille sur mes fenêtres. Les nuages gris roulent sous l’impulsion violente du vent, alors que la lumière peine à filtrer. Sur ma table de fortune – votre serviteur travaille dans des conditions proches de l’esclavage pour vous amener le meilleur de ses lectures – un café chaud accompagne ma prose qu’une lampe de bureau doit éclairer, alors que nous sommes encore en journée, afin de ne pas fatiguer mes yeux déjà trop usés. La luminosité est plus faible ces jours-ci, la température aussi, c’est le temps idéal, vraiment, pour aller faire une balade en compagnie du Maitre. L’année dernière, Tomabooks a lancé l’automne du King sous le hashtag #automneduking, et ayant beaucoup apprécié le concept, j’ai remis ça cette année. Il s’agit de ma troisième lecture du King pour ce challenge après Élévation et L’Outsider. Je vais vous parler de la nouvelle la plus autobiographique écrite par Stephen King : Le Corps.
Quatrième de couverture :
J’allais sur mes treize ans quand j’ai vu un mort pour la première fois. Parfois, il me semble que ce n’est pas si lointain. Surtout les nuits où je me réveille de ce rêve où la grêle tombe dans ses yeux ouverts. Été 1962, quatre adolescents un peu fous s’élancent le long de la voie ferrée, à la recherche d’aventure, de frisson… de danger ?
Mon avis :
Les choses les plus importantes sont les plus difficiles à dire, des choses dont on finit par avoir honte parce que les mots ne leurs rendent pas justice – les mots rapetissent des pensées qui semblaient sans limites, et elles ne sont qu’à hauteur d’homme quand on finit par les exprimer.
Stephen King
J’ai lu cette nouvelle il y a plus de 25 ans alors qu’elle faisait partie intégrante du recueil Différentes Saisons. À l’époque – et mon dieu que j’étais jeune ! – ce n’était pas la nouvelle qui m’avait le plus marqué alors que le livre en comptait 3 autres. Je dirais même pour être honnête que je ne m’en rappelais pas du tout. Cette relecture aura eu du bon, donc. Il est rare que je ne me rappelle pas d’une lecture, quand bien même elle date. Il faut croire que le temps finit par craqueler notre mémoire. Enfin, pas celle de King. Cette nouvelle le prouve.
On va tout de suite régler un point tout à fait personnel sur cette édition. Il ne s’agit en aucun cas d’un roman. C’est une nouvelle. Longue, certes. Mais une nouvelle. L’éditer seule ? je ne suis pas convaincu de l’intérêt pour le lecteur, la couverture ne justifie même pas l’achat. Où sont passées les belles illustrations des éditions de ma jeunesse ? Ces couvertures qui vous dévoilaient un monde, vous donnaient envie de vous y plonger ? Mon premier achat, Simetierre en version poche – oui, quand tu es lycéen tu lis du poche parce que c’est moins cher et ça prend moins de place – était entièrement motivé par la couverture avec ce cimetière fait de croix de bois au milieu d’une clairière et en arrière plan, un bosquet surplombé par deux yeux faits de jeux d’ombres, transperçant une lumière spectrale, qui vous observait. La motivation de cette présente édition me semble ici purement commerciale et non artistique, à mon grand regret, et je ne juge pas opportun d’éditer une nouvelle à la façon d’un roman dans ces conditions. Ceci étant dit, d’une manière générale, les couvertures du King, bien qu’il n’en soit pas responsable, me déçoivent d’année en année. J’aime les illustrations. J’aime les illustrateurs. Remarquez, on peut faire de belle couv’ en photo aussi, c’est un art également, mais les rééditions de ces dernières années en poche me laisse complètement sur ma faim, à croire qu’on ne veut plus engager d’illustrateurs, encore une fois pour des raisons économiques. Tristesse. Quand je vois les gens s’emballer sur la réédition du Fléau avec sa couverture tout en vert… mouais… moi aussi je sais dessiner un corbeau sur une couv’ bichromatique. Je préfère mon édition, donc pas de rachats pour moi. Désolé.
Mais bref ! Trêve de digressions sur ce sujet. Passons au cœur du livre. King nous livre une de ses plus belles préfaces. Une des plus intimes aussi. Pourquoi ? Pour nous prévenir. Cette nouvelle n’est pas une simple histoire, elle est autobiographique. Oh, bien sûr, pour ceux qui connaissent bien sa vie, son oeuvre, on sent où commence la vérité et où la fiction prend la relève pendant le récit, mais il a toujours mis une grande part de lui dans ses écrits, c’est connu.
Plus jamais je n’ai eu d’amis comme à douze ans, et vous?
Stephen King
Au travers d’un narrateur qui se nomme Gordy Lachance et qui ressemble étrangement à notre écrivain favori, nous allons vivre – ou revivre par procuration – une tranche de vie adolescente, en partageant l’expédition incroyable de quatre jeunes de 12 ans à la recherche du corps d’un garçon qui a disparu et qui semble se trouver au bord d’une voie ferrée. Le but du voyage ici n’est pas le plus important et je l’ai même oublié par moment lors de ma lecture. Non, le vrai but du récit est ailleurs. Cette randonnée morbide n’est qu’un prétexte pour King pour nous remémorer ce que c’était d’être une bande de copains à douze ans. J’ai bien dit copain, je pense que cette histoire entrera plus en résonance auprès d’un public masculin « d’âge mûr » on va dire, car il faut être un garçon qui a un peu vécu et laisser son adolescence loin dans le rétroviseur pour comprendre certaines situations. J’ai lu beaucoup de commentaires disant que les termes homophobes qui émaillent le récit dans la bouche des quatre ados, dérangeaient. Et bien désolé, je n’ai pas l’âge du King et de loin, mais ces tendances existaient encore de mon temps, et il faut avoir été un garçon pour le comprendre. Si je devais expliquer ces pratiques, je dirais que c’est une question d’affirmation, comme montrer qu’on est un mâle alpha parmi d’autres, afin de ne pas se faire dévorer par la meute, un truc de virilité alors qu’on y est pas encore.
C’est un croisement terrible que le Maître nous amène là. L’enfance et la mort.
Le récit est bien construit malgré quelques longueurs inutiles, il s’articule comme un parcours initiatique où chaque étape est déterminante et permet à chaque garçon de réaffirmer qu’il sera bientôt un homme – avec ce que ça implique – à grands coups de bravaches verbales et de tours de force. C’est surtout pour chacun, une manière de tromper leur angoisse commune à tous, de la maintenir terrée tout au fond sous cloche, avec interdiction de remonter. Parce que quand on a douze ans, on ne sait pas ce qu’est la mort. La mort c’est un truc d’adulte. On ne l’imagine même pas. Et ça, c’est terrifiant. C’est un croisement terrible que le Maître nous amène là. L’enfance et la mort. Tout du long, jamais il ne dira qu’ils ont vraiment peur, jamais il ne dira combien ils ne veulent pas lâcher par fierté, parce que « les hommes » fonctionnent – bêtement aurais-je envie de dire – comme ça. Mais il illustrera ça de manière magnifique par leurs comportements, leurs mots. King a un don pour parler de l’enfance. Il se rappelle très bien de ses codes, et il a cerné de manière très précise toute la psychologie qui en découle. Ce voyage symbolise le rite de passage vers l’âge adulte. N’oubliez jamais : nous sommes tous le produit de notre enfance et nous faisons nos premiers choix dans notre vie d’adulte en conséquence. Cette nouvelle aborde ce fait, d’une certaine manière.
Conclusion :
En remontant le rail vers Le Corps, King remonte le temps et nous rappelle combien nous étions impressionnables et en même temps si insouciants étant jeunes. Alors que pour certains l’avenir semble déjà se dévoiler sous des funestes auspices et qu’ils en ont vaguement conscience, on continue à croire aux légendes urbaines, comme celle du chien du gardien de la décharge, ou aux histoires qui font peur, celles qu’on se raconte au coin du feu dans la nuit étoilée. On est persuadé que nos bobards sauront tromper nos parents, et qu’ils ne comprennent rien, sans nous douter qu’ils ont eu notre âge un jour et qu’ils s’en souviennent, aussi … oui… oh, oui.
Le King nous parle d’une époque plus lente, plus douce et plus violente aussi, dont ma génération a connu les derniers soubresauts avant de sombrer dans l’ère du numérique et du dématérialisé, dans l’air de la violence sociale en réseau. C’est une lecture triste et nostalgique. Oui. Bon nombre de lecteurs ont semblé déçus, persuadés de trembler de peur en lisant cette histoire. Malheureusement pour eux, point d’horreur mêlée de fantastique ici. Et c’est probablement la force de ce récit : la réalité est parfois bien plus horrible. King par son talent narratif arrive une fois de plus à traiter de thèmes profonds en quelques pages et à nous montrer que le plus terrifiant réside dans ce quotidien voilé derrière chaque fenêtre. Il ouvre, comme souvent, une porte sur l’innocence perdue avec notre enfance, et cela restera le thème majeur de son oeuvre, selon moi. Sa capacité à se remémorer nos codes, nos comportements, nos croyances, lors de cette époque d’insouciance bénie est sans aucun doute unique. Un récit sur l’enfance donc, et ses drames invisibles, ses horreurs muettes. Un petit bijou en quelque sorte, malgré quelques pages qui auraient pu être coupées sans pour autant gâcher le récit. Mais on lui en voudra pas, on adore l’écouter raconter !
La Note : 7,5/10
Vous pouvez aussi retrouver les avis de : Tomabooks
Edition présentée : Albin Michel. Paru le : 2/10/2019ISBN :2226445366 Traduction : Pierre Alien
On se retrouve aujourd’hui avec ma Revue de Wyld de Nicholas Eames. Ça fait un moment que je veux en parler mais bizarrement alors que ça a été un vrai coup de cœur relayé par bons nombres de blogueurs, j’ai eu du mal à m’y mettre tant cette lecture fut très personnelle. J’ai lu ce livre au tout début du confinement et il faut bien le dire, il m’a beaucoup aidé à m’évader bien que j’ai la chance de vivre à la campagne et que je ne souffrais nullement de « l’emprisonnement urbain ». Sa tonalité joviale, son humour décapant, ses aventures dignes d’une partie de jeu de rôle – ce qui a fortement résonné en moi, étant rôliste – mais surtout le parti-pris assumé de présenter des clichés courants à tout univers Med-Fan sans pour autant tomber dans la redite ou le déjà-vu, avec en toile de fond le mode de vie d’un groupe de Rock, ont fait de ce moment de lecture un pur délice. Il est tant pour nous de nous diriger vers le Cœur du Wyld…
Illustration par Pierre Santamaria Didier Graffet
Quatrième de couverture :
La dernière tournée
Clay Cooper et ses hommes étaient jadis les meilleurs des meilleurs, la bande de mercenaires la plus crainte et la plus renommée de ce côté-ci des Terres du Wyld – de véritables stars adulées de leurs fans. Pourtant leurs jours de gloire sont loin. Les redoutables guerriers se sont perdus de vue. Ils ont vieilli, se sont épaissis et ont abusé de la bouteille – pas forcément dans cet ordre, d’ailleurs.
Mais un jour, un ancien compagnon se présente à la porte de Clay et le supplie de l’aider à sauver sa fille, prisonnière d’une cité assiégée par une horde de monstres sanguinaires. Même si cela revient à se lancer dans une mission que seuls les plus braves et les plus inconscients seraient capables d’accepter.
Le temps est venu de reformer le groupe… et de repartir en tournée.
Mon avis :
— Vous êtes une roquebande ? demanda Clay.
— Nous sommes des roquebandits, corrigea la jeune femme. Mais j’aime à penser qu’il nous reste un peu d’espoir.
« C’est l’histoire d’une bande de potes…» Ça pourrait presque se résumer à ça. Ce livre est un de mes nominés des Incontournables SFFF, et si je l’ai choisi, c’est parce que pour la première fois un livre reliait deux de mes passions, le jeu de rôle et le Rock au sens large (hard rock, metal, etc). Le jeu de rôle et la fantasy se sont nourris mutuellement pendant des décennies, l’un et l’autre amenant tout un tas de clichés, et ce livre ne les évite pas, bien au contraire ! Pourtant l’auteur a su éviter l’écueil de nous resservir un plat réchauffé, et à la place, nous a gratifié d’une Fantasy renouvelée et trépidante !
Mais prenons dans l’ordre. Tout d’abord l’auteur a mis à disposition sur son blog une petite playlist, elle m’a accompagné tout le long de ce récit – vous pouvez la retrouver juste là, enjoy mon son préféré ! – et tous mes classiques y passent ! De Neil Young à Lynyrd Skynyrd en passant par AC-DC, les Who, chaque chapitre a sa BO et je n’écouterai plus jamais ces chansons sans penser à Wyld. Cette approche est pour le moins rafraîchissante et nous plonge immédiatement dans l’ambiance : nous ne serons pas dans une aventure comme les autres. Le rock a cette image de liberté, de non-compromis, et c’est bien de cela qu’il s’agit à mon sens. La liberté de prendre un genre, avec ses clichés et d’en faire autre chose, comme on dépoussière une vieille guitare au fond du garage mais sur laquelle on innove. Nicholas Eames va renouveler le genre sans pour autant en faire trop comme d’autres. Et cela tient surtout à sa toile de fond (Fantasy teintée de Rock), mais aussi et surtout à ses personnages.
— Nous reformons le groupe ! s’exclama Moog. Tu comprends, Matty ? Ce sera comme au bon vieux temps ! Nous cinq en route pour le Cœur du Wyld !
Ils sont tous plus attachants les uns que les autres. Exit les héros jeunes et pleins de peps et de muscles ! Ici on a le droit à d’anciens aventuriers vieillissants et sur le retour mais qui vont devoir reformer le Roquebande – Rockband = groupe de rock, chapeau bas au passage à la traduction – et repartir sur les routes. Alors que chaque groupe a son manager – c’est bien connu – nos compagnons n’ont pas gardé de grande relation avec le leur, et là j’ai une pensée ému pour Nightwish et tant d’autres qui se sont séparés de membres du groupe ou de leur manager pour d’infâmes histoires de coucheries, ou de gloire qui monte à la tête. Nous avons le leader ou frontman, Gabe le Magnifique que l’on pourrait comparer au chanteur. Il y a aussi le bassiste ‑ oups pardon – disons le tank – encore pardon, déformation de langage ludique ! – enfin bref le bonhomme au bouclier, pilier du groupe sans qui ils seraient probablement déjà tous morts, Clay Cooper. Nous avons aussi Moog – le claviériste – , le magicien un peu excentrique qui apporte une très bonne dose d’humour et de tendresse, et enfin Mattrick – le batteur –, le voleur roublard, le roi de la dague, le virtuose du combat rapproché, le métronome implacable à la précision chirurgicale. Enfin tout groupe ne serait rien sans un bon découpeur, une machine de mort, parsemant le combat d’une foultitude de cadavres, Ganelon, le guerrier à la hache – le guitariste. Chacun joue sa partition à la perfection, la jeunesse en moins. Leur légende les précède. Comment se nomme-t-il ? Saga – tiens, tiens…. comme un groupe de rock progressif.
Les rencontres et aventures s’enchaînent, pleines d’actions, d’humour, vers un final impressionnant, un Woodstock incroyable, le tout parsemé de clins d’œil soit au monde du rock – dédicace à Freddy Mercury – soit à D&D. Certaines rencontres sont plus marquantes que d’autres comme toujours, par exemple cet Ettin – un ogre à deux têtes en quelque sortes – ou cette Harpie, enfin cette dive (Diva ?) qui m’ont apporté de très bons moments de lecture par leur personnalité et leur originalité. Il est à noter que bien qu’on soit dans de la Fantasy classique, les personnages ont une vraie psychologie, personnalité, et on est très loin du simplisme malgré la prise de position de l’auteur autour des clichés . Chacun est bien travaillé, avec son passé, ses ambitions, ses convictions et c’est toujours appréciable pour l’immersion. L’auteur sait également mettre en relief les différences entre générations en confrontant nos héros au regard de la vague montante. Là encore, Nicholas Eames dépeint avec justesse la trace du temps sur les membres de Saga alors que les jeunes qu’ils rencontrent oscillent entre respect, un peu comme Metallica tournant avec Ozzy Osbourne en 1986 ou avec Van Halen – RIP legend – en 1988, et esprit de compétition, voire carrément de mépris, symbolisant le choc générationnelle. Mais Legends never die !
Conclusion :
Si je devais retenir un seul mot pour qualifier ce livre je dirais : jouissif.
Le rythme, les personnages, la toile de fond, tout est bien trouvé et surtout bien mis en scène. L’auteur a su créer un environnement rafraîchissant à partir de clichés et surtout il a su rendre ça hyper divertissant et original par sa touche musicale ! Humour, castagne, aventures, décors grandioses, une lecture divertissante sans prise de tête. Just Have Fun. Si je devais retenir un seul mot pour qualifier ce livre je dirais : jouissif. Je reviendrai dans le Coeur de Wyld avec son deuxième tome, Rose de Sang très bientôt.
La Note : 8,5/10
Pour conclure, ce livre a remporté le prix Hellfest Inferno 2020, un magnifique festival de Metal, pas loin de chez moi, et ça c’est la classe ! Allez pour une fois pas de « bonsai » mais un bon vieux ..
L’automne est là… Les feuilles commencent à tomber autour de chez moi sous l’impulsion des vents froids du Nord et de l’Est qui balayent la lande granitique dont la verdure se gorgeant de l’eau qui tombe en trombe, semble pulsée d’une aura radioactive. C’est bientôt Halloween et son cortège de fantômes, d’esprits maléfiques, c’est la saison de la peur, de l’horreur, la saison où tout semble pouvoir devenir réel. C’est l’automne du King… alors plutôt que de créer une Illusion en reprenant les codes littéraires et visuels du Maitre de Bangor afin de vous servir un plat réchauffé – dédicace en douceur aux sorties prévues cet automne – nous allons tout simplement éviter l’imitation et parler à la place de son avant dernier livre : L’Outsider. Il y a peu je vous ai présenté Élévation, un petit roman qui tient plus de la nouvelle, et j’expliquais à quel point Stephen King maîtrisait toutes les formes d’écriture, tous les formats. L’Outsider est un roman, avec tout ce que cela implique chez King. Il a des pages, beaucoup de pages, mais il sait nous entraîner avec lui pour un petit tour dont il a le secret et on ne voit pas le temps passer, il nous emmène, là-bas, au coin de la rue… dans le noir.
Quatrième de couverture :
Le corps martyrisé d’un garçon de onze ans est retrouvé dans le parc de Flint City. Témoins et empreintes digitales désignent aussitôt le coupable : Terry Maitland, l’un des habitants les plus respectés de la ville, entraîneur de l’équipe locale de baseball, professeur d’anglais, marié et père de deux fillettes. Et les résultats des analyses ADN ne laissent aucune place au doute.
Pourtant, malgré l’évidence, Terry Maitland affirme qu’il est innocent.
Et si c’était vrai ?
Mon avis :
L’année dernière, lors du précédent automne lancé par Tomabooks, j’avais lu Docteur Sleep, la suite de Shining, que j’avais énormément apprécié. Je trouvais que le King avait réussi à renouer avec sa narration fluide, bien à lui, tout en proposant du fantastique et de l’horreur de qualité comme lui seul sait le faire, avec cette capacité à fouiller les travers humains et leurs psychologies complexes. Ici, il a choisi pour cadre une petite ville typique américaine de l’Oklahoma. Depuis quelques années, ses histoires se situent de moins en moins dans le Maine. Duma Key, La trilogie Mercedes, Dôme, Stephen King voyage et nous en fait profiter par la même occasion, même s’il y a bien une chose qui ne change pas, c’est le moyen de transport. Avec naturel, il va nous lancer dans l’histoire, quasiment en plein dans l’action, sans avertissement. Il a toujours eu cette capacité à vous agripper et ne plus vous lâcher, mais dans ce début de livre c’est encore plus flagrant.
Ce livre démarre comme une enquête policière – au passage, il écrit beaucoup sur ce thème, le policier je veux dire, depuis quelques années – la particularité de cette affaire réside dans le meurtrier présumé, un homme respectable sous tout rapport. King va nous démontrer à quelle point la bienveillance et la présomption d’innocence s’envole très vite, y compris chez les enquêteurs, lorsqu’une petite communauté où tout le monde se connait, est touchée de plein fouet par le meurtre violent et horrible d’un enfant. Seulement voilà, Terry Maitland, le coupable présumé, proclame son innocence alors que les preuves sont accablantes. Toute la première partie du livre s’attache à creuser non seulement les différents éléments de l’enquête – scientifiques, emploi du temps etc – et ses incohérences, mais également les réactions et pensées de chacun des protagonistes qui ont des parcours bien différents suivant les liens affectifs, face à l’horreur qui frappe.
Et c’est là que ça devient du King pur et dur et qu’on peut constater que son talent reste intact. Cette sensation de descente, de voyage au fond de l’irréel, l’improbable, le paradoxal. Il faut noter au passage que dans cette seconde partie plus fantastique, certains personnages de ses livres précédents, mais néanmoins récents, entrent en jeu. Si vous n’avez pas lu les livres concernés, ce n’est pas pour autant pénalisant dans la compréhension globale. Au pire une autre histoire vous sera légèrement dévoilée. Les éléments de l’intrigue s’enchaînent, se recoupent, pour petit à petit nous amener à cette sensation de dédoublement. Nous sommes dans le livre et sur notre canapé… entre deux mondes. Le rythme, assez soutenu tout le long du livre, s’accélèrent vers un dénouement qui pour une fois fera probablement mentir les détracteurs du Roi que beaucoup accusent de ne pas savoir « finir » ses romans. Je ne partage pas ce point de vue – sauf peut-être pour une seule histoire rharrgg !! – et si vous lisez un jour Écriture : mémoire d’un métier, vous comprendrez son processus créatif et sa façon de travailler qui explique en partie le type de fin qu’il nous propose depuis plus de 40 ans ! Pour ma part, les fins des ses derniers romans m’ont plutôt bien accroché, et celle-ci particulièrement.
Conclusion :
Une très bonne cuvée du King, un pur moment de lecture, plein de frissons extatiques, encore plus que Docteur Sleep selon moi que j’avais pourtant adoré ! Malgré ses presque 800 pages, je l’ai dévoré en à peine 4 jours, c’est dire à quel point le rythme, la narration sont maîtrisés et l’histoire palpitante. Alors si vous croisez un type que vous connaissez, regardez-y à deux fois. Il pourrait s’agir d’un Outsider….
Notes : 10/10
Pour info comme le bandeau de mon édition livre de poche l’indique, une série diffusée par OCS est disponible. J’ai juste visionné le premier épisode, et bien que le casting me semblait attrayant, je n’ai pas été emballé par le rythme. Il faudra que je réessaye dans de meilleur condition peut-être. Parfois la persévérance a du bon.
Comme toujours, merci d’être passé ici. On se retrouve très vite avec une prochaine revue. En attendant prenez-soin de vous, gestes barrières et tout ! Bonsai !
Edition présentée : Livre de poche. Paru le : 19/02/2020ISBN :2253260622 Traduction : Jean Esch
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