Hello There !

Voici enfin la revue du Tome 8 du Livre des Martyrs édité en France grâce aux Éditions Leha. Un voyage concocté par Steven Erikson, auteur canadien que je ne présenterai plus, tant j’ai déjà fait son éloge sur ce blog. Afin de mieux découvrir son oeuvre si vous ne le connaissez pas, je vous renvoie à mes revues sur les tomes précédents : Les jardins de la LuneLes Portes de la Maison des MortsLes Souvenirs de la Glace , La Maison des ChaînesLes Marées de Minuit, Les Osseleurs et Le Souffle du Moissonneur

Le livre des Martyrs, ou Malazan Book of the Fallen dans son titre original, est une décalogie commencée il y a plus de vingt ans par son auteur mais qui a peiné à trouver sa place chez nous. En 2018, Leha s’est lancé dans la traduction et l’édition de cette œuvre, avec pour objectif d’apporter au lecteur francophone un des meilleurs récits de fantasy de tous les temps (non je n’ai pas de part chez Leha, ni même de service presse). Après deux échecs de publication chez Buchet Chastel et Calmann Levy au début des années 2000, laissant présager que, finalement en France cela ne marcherait jamais malgré son succès outre-atlantique, Leha vient de mener à bout son projet démentiel de publication des dix tomes, contre toute attente et surtout (!) contre l’avis de tous ceux qui il y a 5 ans riaient sous cape, pensant que ce projet était insensé voire suicidaire pour une maison d’Édition qui venait de naitre (je l’ai lu de mes yeux). Et pourtant. Pourtant les Éditions Leha ont prouvé que lorsqu’on est convaincu et déterminé et qu’on a les bonnes personnes à bord, on peut tout. Napoléon disait : Impossible n’est pas français.

CQFD.

Bravo.

Bien qu’étant monté sur le navire qu’en 2019, soit un an après le début de cette formidable aventure, je n’ai jamais douté que vous tiendriez parole et que ce livre rencontrerait son public, parce que la qualité ne saurait mentir même au regard du marché réduit que constitue la fantasy en France.

En tout cas j’ai hâte de partager ce final avec vous et de connaitre la conclusion de ce cycle monumental. Il y a quelque mois, après la lecture du tome 9, j’aurais abordé le dernier tome en demi teinte tant La Poussière des Rêves m’a laissé dubitatif. Mais d’avoir ce magnifique livre, Le Dieu Estropié, aujourd’hui entre les mains je sens l’excitation monter. De plus, avec Erikson il ne faut jamais prendre pour argent comptant les éléments disséminés dans le récit, l’auteur a su nous prouver par le passé que les apparences ne sont jamais ce qu’elles sont, et bien que le tome 9 m’ait mis sur la réserve pour cette fin à venir qui me semble très noire et pessimiste, je ne peux résister à l’envie de connaitre son dénouement en bien ou en mal.

Mais trève de bavardage, nous sommes là aujourd’hui pour parler du 8e roman de la série, le plus sombre et le plus triste qui soit de tout le cycle jusqu’à présent. Et Marc Simonetti ne s’y est pas trompé lorsqu’il a réalisé cette splendide couverture, la plus belle à mon sens, mais c’est un débat pour lequel je projette de consacrer un article entier à la fin de la lecture et de la revue du cycle, voire même un vote via les réseaux, parce que je suis curieux de connaitre vos goûts.

Peut-être la plus belle couverture de Marc «The Boss» Simonetti

Quatrième de couverture :

Darujhistan, la cité aux feux bleus. Le festival de Gedderone bat son plein et les fêtards envahissent les rues. Mais la ville n’est pas aussi joyeuse qu’elle le paraît. Des assassins rôdent, des complots se tissent dans l’ombre, de terribles présages hantent les nuits. Kruppe le sait, les jours à venir seront sombres et porteurs de tristes nouvelles. La Guilde des assassins a accepté d’éliminer les anciens Brûleurs de Ponts propriétaires de la Taverne de Krul. Grognard s’engage auprès de la Trygalle juste avant que le fils de Pierrie Menackis disparaisse. Couteaux s’apprête à retrouver ses vieux amis, mais il n’est plus le jeune Crokus d’autrefois.

Loin au sud, une autre menace se dresse : le Dieu Mourant. Il conquiert chaque jour plus d’adeptes grâce à l’ivresse que procure le kelyk, jusque dans les murs de Corail la Noire. Même parmi les fidèles du Rédempteur, rassemblés autour du tumulus d’Itkovian, ils sont nombreux à succomber et à se convertir. Mais Anomander Rake, qui règne sur la ville, a d’autres problèmes à régler. Au sein de Dragnipur, le Chaos pourrait bien engloutir la porte de Kurald Galain, une catastrophe aux conséquences inestimables…

Mon avis :

Tome plus contemplatif, plus descriptif, tome de retrouvailles et de mélancolie.

Une fois n’est pas coutume, on pourrait presque dire « On est de retour ! », car c’est bien là la sensation qui se dégage de ce livre au début. Des retrouvailles avec notre premier décor de voyage (à peu de choses près) : Darujhistan. Des retrouvailles avec les tous premiers personnages de l’histoire, au cœur de la cité aux feux bleus. Mais la joie des retrouvailles est plutôt de courte durée, très vite un voile de tristesse et de mélancolie vient s’étendre par dessus nos sentiments. L’auteur dédicace ce tome à son père décédé avant l’écriture de celui-ci et cette information prend tout son sens dans les pages qui suivent. Steven Erikson, profondément marqué, creuse tout au long de son roman, les thèmes extrêmement lourds et complexes que sont la mort et le deuil. Au travers des paroles de Kruppe, narrateur dévoilé pour une fois, ce qui semblait être le retour flamboyant de plusieurs personnages se transforme peu à peu en chant du cygne. Cela n’est pas nouveau, on le sait, Erikson n’hésite pas, lorsque l’histoire l’exige, à sacrifier certains personnages bien aimés. S’il s’agit probablement d’une forme de conclusion, une manière de dire au revoir et bonne route à certains (jusqu’à la prochaine fois, peut-être?) pour d’autre c’est la mort, affreuse et aveugle qui frappe parfois sans prévenir, parfois au hasard, souvent injustement. Le plus dur dans ces cas-là est toujours pour ceux qui restent. Chacun à sa manière va chercher des réponses : religion, alcool, ou encore la vengeance, soi-disant salutaire, mais qui n’apporte pas forcément la paix de l’âme tant recherchée.

Tome très sombre et pessimiste comme les ténèbres chères aux Tistes Andii.

Mort, tristesse, recherche de rédemption. Sans prétendre que l’auteur tente par ce livre d’apaiser sa douleur et de faire son deuil, il nous offre en tout cas, à l’image probablement de son humeur bien légitime, un tome pessimiste et très sombre comme les ténèbres chères aux Tistes Andii qui recouvrent Corail la noire, celle-là même qui fut le théâtre de la fin de nombreux Brûleurs de Pont. Des réponses, enfin, sur Anomander et son peuple. Enfin, des réponses… partielles, parcellaires, sous-entendues, bien évidemment. L’auteur ne verse jamais dans la facilité et rien que pour ça je le remercie. Les points de vue alternatifs se succèdent entre plusieurs protagonistes mais c’est bien les évènements se déroulant au cœur du nouveau refuge des andiis, suite à la perte de Sangdelune, qui nous intriguent le plus. Tout semble converger vers un quelque chose, mais on ne sait pas quoi, l’obscurité nous empêchant d’y voir clair. La douleur est palpable, y compris pour le lecteur, à chaque instant. Chaque lieu, chaque pensée, tout nous rappelle des personnages chers, disparus au cours de drames qui nous ont profondément touchés dans les tomes précédents, et il nous est impossible de contenir notre peine bien que les paragraphes, les chapitres, les livres, les tomes passés depuis, nous aient permis de la guérir, l’apaiser.

Plusieurs critiques sociales : le travail des enfants, les systèmes religieux.

Drapé de noir, Erikson choisit dans ce tome de traiter de sujets très sensibles voire dégoûtants. Au delà de la critique à peine voilée de la religion au travers du culte grandissant du Dieu Estropié qui accepte en son sein toutes les choses brisées tant physiquement que psychologiquement, Erikson se fend d’un cynisme farouche lorsqu’il s’agit de montrer que le mal est un concept abstrait et n’a aucune limite dans son attrait pervers, y compris pour les plus vertueux ou les plus innocents. C’est la première fois que je le sens aussi cynique et acerbe sur le sujet. La religion rejoint le thème de la mort, car à quoi est censé servir la religion si ce n’est apporter une réponse, LA réponse, à cette question universelle et éternelle, jusqu’à aujourd’hui insoluble : qu’y a-t-il après la vie. Au travers de plusieurs cultes et dévotions parfois mineures, il nous offre une réflexion profonde sur les mécanismes de la croyance et ce qui pousse certains, parfois malgré eux, dans les rouages de la foi.

Comme si ce tome n’était pas assez noir, il met en scène de manière subtile et révoltante, le sacrifice de l’innocence et de l’amour filial aveugle en abordant l’exploitation des enfants au travail. Une thématique poignante et ô combien injuste ! Il nous rappelle de manière violente, que même encore aujourd’hui, le profit n’a pas d’âme, et que, même au XXIe siècle, des enfants travaillent encore et toujours au service des grands, bien souvent dans l’indifférence et l’ignorance la plus complète : il est beaucoup plus facile de ne pas voir ce qui nous dérange.

Tout doucement comme souvent, mais cette fois-ci de manière beaucoup plus contemplative et méditative, un poil résigné voire spectateur pour certains personnages, la convergence approche, et ce tome nous offre le final le plus explosif qui soit ! Chaque trame finit par y trouver une conclusion, parfois étonnante, souvent poignante. Erikson maîtrise à la perfection son art et nous livre sa meilleur fin jusque là. Sa narration soignée nous entraîne bien au delà de notre heure habituelle de coucher, et il est bien difficile après tout cela de fermer les yeux sans songer à ce que toute cette fin implique pour la suite.

Conclusion

Magistral est le premier mot qui me vient à l’esprit. Steven Erikson atteint ici une qualité d’écriture rare. Tout le roman est teinté d’une poésie triste et mélancolique dans une prose poignante où le désespoir domine. Pour autant, la fin augure d’une once d’espoir et d’un renouveau possible. On ne peut effacer le passé, on ne peut le changer, mais on peut agir sur notre présent pour un futur meilleur. Le pardon et la rédemption sont possibles pour qui veut bien le demander, le chercher. Et si on ne peut jamais être sûr de l’avenir, il est plus agréable de vivre sans regret.
À noter que pour la première fois nous avons des indices sur la narration globale de l’oeuvre, sur la rédaction de ce Livre des Martyrs, ce tome-ci est sans aucun doute une clé de décodage, selon les propres mots de l’auteur, pour comprendre qui a écrit ces textes et dans quel but. Un grand bravo Monsieur Erikson, pour cette profondeur d’écriture et cette qualité de narration. Encore une fois, les romans de Fantasy en disent plus sur les travers de notre société et les traumatismes du coeur et de l’âme que certaines littératures. Vous êtes un des grands noms de la Fantasy, assurément.

Comme toujours pour les anglophones je vous mets le lien de ce podcast incroyable, que l’on peut retrouver via d’autres plateformes aussi, bonne écoute.

Un dernier mot pour dire que la revue du tome 9 se fera probablement après la lecture du 10 et sortira quasi simultanément que celle du dernier tome puisque, selon les propres mots de l’auteur, ces deux derniers volumes en terme de narration n’en sont qu’un.

On se retrouve très bientôt ici, j’ai pas mal d’article dans la marmite, sur des auteurs comme Sanderson ou encore Baranger, qui n’attendent que de venir se faire déguster pour Noël. En attendant bons préparatifs de fêtes !

Bonne fin de civilisation !

Ce qu’on en dit ailleurs : Symphonie Herbefol

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