Hello there !

Alors que l’été approche et que la fin d’année scolaire se dessine, je trouve enfin un moment pour continuer à ma manière mon aventure malazéenne. Celle de Leha aurait dû toucher à sa fin prochainement avec la fierté du travail accompli, puisque le tome 9 est là, et le 10 à paraître en fin d’année. Mais le succès et le plaisir pris dans cette entreprise les ont conduits à entamer la publication d’une nouvelle série ancrée elle aussi dans l’univers malazéen, mais écrite par l’acolyte et ami de toujours Ian Cameron Esslemont. Et comme ce n’était pas suffisant, ils ont décidé de parcourir le globe, ou tout du moins la France, en compagnie des deux auteurs pour un Malazan tour de folie.

Une tournée incroyable, ponctuée par des émeutes à Saint Malo pour s’arracher les quelques exemplaires du tome 9, présenté en avant-première par Leha. Tel la caravane du tour de France, des camions citernes remplis d’encre ravitaillent les différentes escales pour assurer les dédicaces : à l’image du cycle, ce Malazan Tour prend des proportions démentielles ! Pour ma part, j’aurai eu la mienne dans l’ambiance intimiste de la librairie Critic à Rennes, et même si je me demande encore pourquoi je n’ai pas pensé à poser telle ou telle question ou à parler de tel ou tel sujet, tétanisé comme je l’étais de rencontrer ces personnes qui me donnent tant de plaisir à lire, je suis vraiment heureux d’avoir pu échanger et revenir avec ma petite griffe sur chacun de mes livres apportés. J’avais choisi Les Portes de la Maison des Morts pour recevoir la patte du maître, puisque c’est ce tome qui a été le vrai déclencheur de ma passion pour ce cycle et que l’auteur lui-même a apprécié ma revue sur ce blog malgré la barrière de la langue. J’ajouterais une mention spéciale à Ian C. Esslemont qui ne cachait pas son incomparable plaisir à rencontrer ses fans étrangers, et dont je dévore actuellement son premier livre traduit en français : La Complainte de Danseur. Merci pour votre accueil messieurs.

Mais trève de bavardage, il est l’heure de transpirer sous le soleil écrasant du désert de Sept-Cités, de suffoquer dans l’étouffante Y’Ghatan, de succomber des maintes fourberies divines ourdies depuis les ombres et autres complots politiques qui se trament à Malaz, il est l’heure de chuter dans les profondeurs d’un cycle tentaculaire, épique, incomparable et inégalé.

Nous continuons donc l’aventure malazéenne en français grâce aux éditions Leha. Un voyage concocté par Steven Erikson, auteur canadien que je ne présenterai plus, tant j’ai déjà fait son éloge sur ce blog. Afin de mieux découvrir son oeuvre si vous ne le connaissez pas, je vous renvoie à mes revues sur les tomes précédents : Les jardins de la LuneLes Portes de la Maison des MortsLes Souvenirs de la Glace , La Maison des Chaînes et Les Marées de MinuitLe livre des Martyrs, ou Malazan Book of the Fallen dans son titre original, est une décalogie commencée il y a plus de vingt ans par son auteur mais qui a peiné à trouver sa place chez nous. Depuis 2018, Leha s’est lancé dans la traduction et l’édition de cette œuvre, après deux échecs de publication chez Buchet Chastel et Calmann Levy, et le final est proche puisqu’à l’heure où j’écris ces lignes le tome 9 est quasi paru et le tome 10 est toujours annoncé pour la fin 2022. Un gand Bravo pour ce tour de force, et ces délais respectés !

Couverture par Marc «The Boss» Simonetti

Quatrième de couverture :

La rébellion du continent de Sept-Cités a été écrasée.
Les derniers insurgés fanatiques se sont réfugiés dans la ville de Y’Ghatan, sous le commandement de Léoman des Fléaux. Y’Ghatan, une ville légendaire, qui a déjà goûté plus d’une fois le sang des Malazéens. La perspective d’assiéger cette ancienne forteresse inquiète justement la XIVe armée de Malaz, épuisée par le conflit. L’odeur de la mort règne, alors qu’une épidémie de peste se propage.
Mais, aux quatre coins du monde, les agents d’un conflit bien plus important ont posé leurs premières pièces. Les dieux eux-mêmes doivent choisir leur camp, car les règles ont désormais changé de manière irrévocable.
Et comme souvent, ce sont les mortels qui en pâtiront les premiers. Héboric, Apsalar, Couteaux, le féroce guerrier Karsa Orlong ou les deux compagnons de route Icarium et Mappo…, chacun est à la recherche de son destin, de son passé ou de son avenir, guidé par sa propre volonté mais aussi celle de puissances supérieures. La guerre s’annonce, dans les garennes comme sur terre. Car, une fois de plus, les dieux ne les laisseront pas tranquilles.
L’enjeu ? L’existence même du monde.

Mon avis :

Comme toujours le livre s’ouvre sur des remerciements et des cartes afin d’aider à la lecture. N’oublions pas que l’auteur n’est pas qu’écrivain, mais aussi rôliste et wargamer, sans parler de ses casquettes professionnelles, et que les cartes ont leur importance dans ces loisirs.

La ville de Malaz où il va se passer pas mal de chose dans ce tome.

Le premier constat à faire concernant Les Osseleurs est qu’il est plus épais que n’importe lequel des cinq volumes qui le précèdent avec 1016 pages, (était-ce encore possible ?!) et pourtant il est un peu moins volumineux que les deux tomes suivant déjà sortis ! Du monstrueux donc, et pourtant chaque mot a son importance, sa place, rien n’est superflu avec Erikson.

Une des forces de l’auteur est cette capacité à créer des personnages complexes dont les motivations sont cohérentes et évoluent en fonction de la situation générale. Dans ce tome, il y a peu de nouveaux personnages, ce qui va nous permettre de nous concentrer sur ceux déjà présentés et d’approfondir leur personnalité soit au travers des pensées, soit, et surtout, par leurs actes.

Sois témoin

Karsa Orlong

L’armée de l’Adjointe Tavore, est au coeur de ce sixième opus. Nous la retrouvons presque là où nous l’avions laissée à la fin du tome 4, après l’intermède du tome 5 qui peut paraître indépendant au premier abord, mais qui ne l’est plus du tout, suite à la lecture de ce volume-ci. Si cette armée a commencé à voir son identité se dessiner légèrement dans La Maison des Chaines, avec ces petits osselets de doigts accrochés sur leurs uniformes, c’est bien ici, dans les paysages démesurés et arides de l’ouest de Sept-Cités, qu’on assiste réellement à la naissance des Osseleurs de la XIVe Armée.

La traque, puis l’attente insoutenable de l’inévitable confrontation finale entre l’ost de Tavore et les restes de la rébellion de Sha’ik, sont remarquablement décrites. On vit d’une manière forte et intense les peurs, les angoisses, la résignation aussi, de chaque protagoniste pris au cœur de ce drame inéluctable. Comme s’il était encore possible de s’émerveiller après tous ces livres ! Pour rendre cela encore plus humain, Steven Erikson profite de l’occasion qui lui est donné pour approfondir le passé de certains militaires, ouvrant là une réflexion intéressante sur ce qui conduit quelqu’un à s’engager dans une armée. Le choc à venir n’est plus juste une collision entre deux volontés informes et vagues, mais bien entre des hommes et des femmes pris dans la tourmente d’un chaos engendré par les puissants, mais qui par un jeu de dupes sont eux-mêmes les proies des manigances des dieux. Malgré la vision des deux camps, l’incertitude sur les évènements, ainsi que sur l’issue du combat à venir, est totale !

Une première motié de livre maîtrisée avec flamboyance. Plus jamais je n’irai dans un souterrain ou un tunnel sans penser à Y’Ghatan. Encore une fois, l’auteur nous surprend par cette capacité à se renouveler sans cesse dans les situations proposées et le tout sans perdre en qualité. Il aurait pu s’arrêter là, tant le paroxysme atteint ressemble à celui d’une fin de livre, mais pour autant, comme dans le tome 3, il va nous permettre de souffler un peu, notamment en nous exposant quelques scènes révélation. Des pièces que l’on n’avait pas encore réussi à assembler jusque là trouvent leur place naturellement, sans artifice ou sensation de deus ex machina, avant de nous emmener vers LE grand final du livre.

Le milieu du livre s’apparente donc à une grande respiration où Steven Erikson fait converger les intrigues, et relie les différents fils de la toile – des paralts de Kartool, évidemment. Pour la première fois depuis le début du cycle, on se sent beaucoup moins perdu. Nous avons nos repères, nous connaissons les codes et nous savons qu’il ne sert à rien de prendre pour argent comptant ce que nous voyons, ou croyons voir. Notre assiduité est récompensée car pour une fois nous comprenons… du moins un peu plus. Et quel sentiment grisant pour le lecteur ! Des couches entières apparaissent, l’auteur glisse des éléments qui font fléchir la balance, rendant les choses plus incertaines quant au dénouement et pour autant plus distinctes pour le lecteur qui commence à cerner certains grands enjeux avec précision. Les pions ont choisi leur place sur le grand échiquier qui lève enfin son voile. Les personnages sont en proie au doute : sur qui peuvent-ils compter et de qui doivent-ils se défier?

Les thèmes abordés sont profonds et tous liés à l’engagement militaire, comme le devoir par nécessité, les crimes de guerre, ou encore l’endoctrinement politique et religieux conduisant aux massacres d’innocents consentants, sous couvert d’un glorieux passé, à juste titre commémoré, mais travesti, déguisé, afin de mieux le mettre au service de la manipulation de masse.

Et au milieu de tout ça, ces héros, que nous suivons depuis le départ pour certains, sont ballottés au gré de situations dont ils ne sont que les pantins. Perdre un camarade de longue date est toujours un moment poignant, imaginez plusieurs. Erikson court vers son final, enchaîne les drames, la vie ne comptant pour rien dans les jeux divins dont les buts sont parfois très « humains » dans leurs accomplissements. Ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions ? Comme au théâtre, tous les acteurs convergent vers une même scène, comme attirés malgré eux par le chaos. Entre coups-bas, combats maîtrisés de main – d’assassins ? – de maître, drames et tromperies – qui n’en sont pas toujours, maintenant qu’on commence à connaître l’auteur –, Dallas et son univers impitoyable paraissent bien fades à coté du cœur de Malaz, la capitale impériale que nous n’avions fait qu’effleurer dans le tome 2, mais où se joue dans celui-ci un final irrespirable qui s’emballe et réussit à être encore plus intense que le premier pic du roman. Nous sommes emportés et il est bien difficile d’interrompre sa lecture, tremblant pour nos personnages favoris ou maudissant bien d’autres. 

Loin du focus de ce tome, au coeur de l’océan, un bateau vogue vers Lether, plaçant ainsi le dernier pont d’une longue suite d’éléments disséminés au cours de ce récit vers le tome 5, nous permettant à nouveaux d’être euphorique eu égard à notre nouvelle compréhension des choses et les promesses qui en découlent. Une fois de plus la qualité de plume de l’auteur nous éblouit, il sait exactement ce dont il parle, et comment présenter cette histoire de la meilleure manière possible. Ce que certains font sur un livre, lui s’amuse à le faire sans accroc sur un cycle entier. Tous les petits fils tissés se rejoignent comme autant de passerelles invisibles aux premiers abords mais qui donnent corps à l’ensemble, et sous nos yeux ébahis se révèle de plus en plus le cœur même du cycle, rendant encore plus insignifiant les personnages auxquels nous nous sommes attachés, y comprit les nouveaux comme Hellian, impayable en sergente flirtant avec l’ivresse en permanence ou Samar Dev, entraînée malgré elle dans le sillage de mort d’un Karsa toujours aussi avare de mot et primitif. Sur un autre plan, on s’aperçoit que la lutte autour du trône de l’Ombre et le contrôle du lieu qui l’entoure est peut-être bien finalement la clé de tout ça, et que ce vieux boiteux d’Ombretrône semble avoir fait preuve de clairvoyance avant tous les autres dieux à son sujet. Lui et Cotillon qui semblaient être des antagonistes dans le premier tome, ne sont peut-être pas si malintentionnés que ça finalement, la suite nous le dira bientôt. On notera au passage, le premier point de vue de Tavore en fin de livre. Juste deux pages.. mais deux pages ! Cela m’a marqué tant ce personnage insondable mais incontournable, me semble incompris par la majorité.

Conclusion :

La chaine des chiens de Coltaine m’avait impressionnée, par son réalisme militaire, humain. Je pensais qu’on avait atteint le summum de l’épique, du terrifiant, du bouleversant. Je pensais ne jamais relire quelque chose d’aussi fort.. mais.. voilà.. voilà.. Y’Gathan… Oui, il pouvait faire encore plus poignant.

Plus linéaire, moins thématique, et pour autant toujours aussi fort en émotions, Les Osseleurs est une étape clé dans la série. Toutes les trames et intrigues disséminées sur l’ensemble du cycle se rejoignent enfin et de nombreux personnages font des choix importants, se positionnent, s’alignent, en vu de la confrontation finale qui s’annonce en sous-mains. Le cycle a pris son envol, enfin, et pour autant nous ne nous sommes jamais ennuyés, cela fait six tomes qu’on en prend plein les yeux. On est avec ces soldats, on souffre, on rit, on pleure avec eux, on se sent faire partie d’un tout, d’une équipe. Steven Erikson nous a embrigadé dans son armée et on n’a qu’une envie, ne jamais laisser tomber personne, et aller jusqu’au bout quoiqu’il en coûte.

Quoiqu’il en coûte.. jusqu’au bout avec vous, Monsieur Erikson.

Premiers entrés, Derniers sortis

devise des Brûleurs de Pont

Notes : 10/10

Comme toujours pour les anglophones, je vous donne le lien vers le podcast plébiscité par Steven Erikson lui-même puisqu’il y a donné déjà plusieurs interviews. Ici il s’agit de l’épisode final sur le tome 6, où l’auteur revient avec l’équipe de Ten Very Big Books sur les thèmes développés dans le livre.

Je vous remercie infiniment de m’avoir lu et vous souhaite à tous de chouettes lectures.

Bonsai !

Ce qu’on en dit ailleurs : Symphonie Herbefol

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