Et bien… ça faisait longtemps que je n’avais pas pris le temps de rédiger une revue littéraire. En même temps, ça faisait longtemps que je n’avais pas eu le temps de le faire, trop occupé à lire. Beaucoup même. J’ai englouti des centaines de pages ces deux derniers mois. Car mon grand coup de cœur de cette année 2019, je le tiens, depuis juin. Il faisait partie de ma PAL sans être une priorité, et puis une promo sur le Kobo-store m’a décidé à acheter le premier volume de cette série qui en possède 10. Après plusieurs tentatives de traduction, chez Buchet/Chastel notamment (pour le premier volume seulement), puis chez Calmann-Lévy (qui lui s’est arrêté au second volume, qu’il avait d’ailleurs découpé en deux parties), nous avons enfin une édition de qualité grâce aux éditions Leha et à deux traducteurs ambitieux mais surtout fans de l’œuvre : Emmanuel Chastellière et Nicolas Merrien. C’est avec une avidité non contenue que je me suis donc plongé dans The Malazan Book of the Fallen (titre original de la série) et ÉPIQUE est le mots qui convient!

Pour le moment trois tomes sont déjà parus. Ils suivent un rythme de parution régulier d’après un planning établi à l’avance et respecté (si si!) et le prochain, à l’heure où j’écris ces lignes, sera pour le mois d’octobre 2019 et s’intitulera La Maison des Chaines. Je viens de terminer le tome 3 , Les Souvenirs de la Glace, et je serai donc fin prêt pour octobre, mais ne brûlons pas les étapes, parlons d’abord de ce premier volume, Les jardins de la Lune de Steven Erikson donc, clé d’entrée dans la série.

Il ne sert à rien de commencer quelque chose sans nourrir une certaine ambition.

Steven Erikson

La genèse

À l’origine, Les Jardins de la Lune se déroulait dans un univers créé pour le jeu de rôle. Steven Erikson et son ami Ian C. Esslemont se retrouvaient régulièrement pour jouer au cours de longues soirées, vous savez c’est le truc auquel les jeunes jouent dans Stranger Things. Et NON, ce n’est pas qu’une activité d’ados, vous devriez essayer. Bref, c’est donc dans cette optique de jeu que nos deux jeunes auteurs en herbe vont façonner un univers ni tout blanc ni tout noir, un peu à l’image de La Compagnie Noire de Glenn Cook, que je vous recommande chaudement si vous ne l’avez pas encore lu, c’est un indispensable pour tout fan de fantasy qui se respecte.

À partir de leur session de jeu ils vont écrire un scénario de cinéma que les deux doctorants en archéologie et anthropologie vont proposer à plusieurs sociétés de production : « Nous avions avec Ian C. Esslemont (le cocréateur) une histoire énorme, se remémore Steven Erikson, de la matière première pour vingt romans, deux fois plus de films. » Malheureusement, leurs recherches de producteurs puis d’éditeurs s’avéreront vaines. Chacun va repartir vers ses occupations, mais l’auteur canadien ne s’avoue pas vaincu, il retravaille son premier jet, organise un peu mieux l’histoire en l’englobant dans tout le background créé pour le jeu, donnant ainsi de la profondeur à son univers, de la crédibilité et des buts réalistes à divers personnages au sein d’organisations plus vénales et despotiques les unes que les autres.

L’histoire des Jardins de la Lune avec son final grandiose devient la première partie de quelque chose de plus profond avec des connexions à de multiples autres pans d’histoires mais dont les enjeux, les finalités et les mystères ne sont pas révélés au lecteur. Ce qui va entraîner un effet secondaire…

En effet, la plupart des maisons d’éditions américaines vont refuser le manuscrit, sensiblement toutes sous le même prétexte : trop complexe! Lecture trop compliquée ! « vous ne vous rendez pas compte, vous demandez au lecteur de faire fonctionner le truc entre ses oreilles! La Fontaine demande la même exigence quelque part, oui c’est vrai, mais notre monde a beaucoup changé, aujourd’hui c’est l’hyper consommation, on est là pour rigoler pas pour se casser la tête! Ce qui est facile et rapide se consomme vite et c’est tout ce que veut un lecteur lambda. Ah! »

Merci Morpheus pour ce moment-vérité sur nos vies.

Bon je m’égare quelque peu sur les propos tenus mais vous comprenez l’idée, et heureusement que ces gens là n’ont pas raison. Il existe encore une part de lecteurs qui aiment se creuser les méninges, avoir de la matière à réflexion que ce soit sur l’univers du livre ou sur les personnages, ou même sur la portée philosophique de certains thèmes ou certaines situations, des lecteurs qui aiment réfléchir. Et c’est sur cette base, qu’une maison d’édition anglaise va donner sa chance à Steven Erikson alors qu’il vient de déménager en Angleterre. Elle part du principe justement que les lecteurs de fantasy sont exigeants et que les trames et les personnages complexes ne les repoussent pas, au contraire. D’ailleurs Le Trône de fer de Martin (qui n’a pas encore le succès dû à la série) se vend pas trop mal, le 2e tome ayant même atteint la liste très fermée du NY Times Best seller, et, bien que la syntaxe et le vocabulaire soient abordables, l’intrigue et la densité des personnages en font une oeuvre qui nécessite un investissement du lecteur, mais qui n’empêche aucunement la vente apparemment.

En 1999 le premier tome sort donc, suivi des autres au rythme d’un par an. Très vite, des traductions vont fleurir en plusieurs langues, mais il faudra attendre 2018 pour avoir quelque chose de sérieux en France, avec cette édition ambitieuse et alléchante proposée par les Editions Leha. Pour la petite histoire, j’ai acheté mon livre en format numérique et pour une fois (même si ça arrive de plus en plus souvent maintenant) la différence de prix entre le papier et l’e-book est conséquente et appréciable. Cela ne m’empêchera pas de l’acheter tôt ou tard en version papier tant l’objet livre est somptueux.

La couverture de Marc Simonetti est magnifique et les tranches les unes contre les autres formeront une fresque à terme.

Une histoire épique…

Quatrième de couverture du roman :

« Saigné à blanc par des luttes intestines, d’interminables guerres et plusieurs confrontations sanglantes avec le Seigneur Anomander Rake et ses Tistes Andii, le tentaculaire Empire Malazéen frémit de mécontentement.

Les légions impériales elles-mêmes aspirent à un peu de répit. Pour le sergent Mésangeai et ses Brûleurs de Ponts, ainsi que pour Loquevoile, seule sorcière survivante de la 2e Légion, les contrecoups du siège de Pale auraient dû représenter un temps de deuil. Mais Darujhistan, la dernière des Cités Libres de Genabackis, tient encore et toujours bon et l’ambition de l’Impératrice Laseen ne connaît aucune limite.

Cependant, il semble que l’Empire ne soit pas la seule puissance impliquée. De sinistres forces sont à l’oeuvre dans l’ombre, tandis que les dieux eux-mêmes se préparent à abattre leurs cartes… »

Pas d’histoire sans univers.

Je crois que la force d’une histoire de Fantasy, au-delà de ses intrigues et de ses personnages, tient à son univers. Quand on lit pour la première fois Le Seigneur des Anneaux, on est frappé dès les premières pages par la beauté, l’immensité, l’histoire de la Terre du Milieu. Les personnages évoluent dans un environnement qui a sa propre vie, né des actions des êtres vivants le parcourant, depuis des millénaires pour certains, et c’est ce qui fait de la terre du milieu un personnage à part entière de l’histoire. Et bien l’effet est le même ici. On ressent au fur et à mesure du récit l’immensité de ce monde et la profondeur du passé des différentes races qui le parcourent. Exit ici les nains, les elfes et les orques, même si on peut très bien associer certaines ethnies à ces dernières. Il s’agit plutôt de déclinaisons de l’espèce humaine mais ayant chacune des particularités physiques différentes, des origines différentes et des magies différentes (Je rappelle que l’auteur est Anthropologue 😉 ). J’avoue que j’ai trouvé ça rafraîchissant et innovant. Pour la première fois, j’ai rencontré des races dont l’histoire, l’apparence, les us et coutumes m’ont vraiment captivé. Bien souvent (mis à part Tolkien ou Martin dans leurs œuvres respectives), l’origine ou la description de ces ethnies sont d’un rébarbatif et me laisse souvent froid tant les clichés et le manque d’originalité sont de mise. Ici, l’auteur dévoile les pans de son univers au compte-gouttes, et c’est ce qui donne envie de lire encore plus vite conjointement à l’avancement de l’histoire. Que va-t-on découvrir sous le prochain cailloux que l’on va soulever?

Les races et leurs tailles approximatives

L’autre point fort de l’univers est son système de magie. Sans tout vous dévoiler, la magie provient de Garenne, lieu ou dimension parallèle que les magiciens ouvrent afin d’y puiser leur pouvoir, et dans lequel ils peuvent se déplacer afin de parcourir de longues distances en beaucoup moins de temps. Ces lieux sont bien souvent l’antre de divinités qui participent plus ou moins activement à l’histoire, et c’est là où ça devient captivant. Car cette histoire ne concerne pas que les races parcourant la surface du monde mais également les dieux qui pour tuer l’ennui ou par intérêt se mêlent des affaires des mortels.
Petit clin d’œil à Goule, Dieu emblématique du champ de bataille et donc omniprésent dans l’histoire, notamment au travers des événements et surtout des expressions orales de la plupart des personnages qui jurent en son nom!

Par le souffle de Goule! Ce n’est pas passé loin…

Soldat Malazéen

L’oeuvre est agrémentée de carte ce qui permet une représentation des lieux et distance. Ici les cartes sont très lisible et invite notre imaginaire au voyage au travers des différents contrées présentées.

Genabackis, le continent où se déroule les événements des Jardins de la Lune.

Des personnages et des organisations hauts en couleur.

Au travers de l’histoire, on suit plusieurs groupes de personnes qui poursuivent chacun leurs propres buts, et même si par moment on est dépassé par les choix ou les réflexions de certains personnages, tout finit par trouver un sens à un moment ou à un autre. Chaque tome possède sa propre intrigue et son dénouement à la fin de chaque livre.
Je ne vous détaillerai pas ici les factions qu’on trouve tout au long du roman car le but de mon article n’est pas de spoiler l’histoire, de plus le sujet est bien trop vaste, le nombre de personnages étant trop important à la façon d’un Trône de Fer. Notons quand même que le cœur de l’histoire tourne autour d’une unité militaire, les Brûleurs de Pont, sorte d’unité d’élite qui m’a fait énormément penser à La Compagnie Noire de Glen Cook d’où peut-être mon attachement à leur égard. Au sein de cette unité, on trouve divers personnages tel que Mésangeai leur sergent, Kalam un assassin ancien membre de la griffe (une organisation impériale de surveillance et d’assassinat), Ben le vif un magicien bien particulier et mystérieux, Violain un sapeur, Maillet soigneur qui utilise la garenne du Haut Denul permettant de soigner et guérir les blessures et Mes Regrets. Ce dernier personnage est bien particulier, bien construit et flippant à souhait et je vous laisse le découvrir.

Deux autres personnages m’ont plutôt marqué, il s’agit du capitaine Paran et de Loquevoile Cadre-Mage de la 2e armée Malazéenne. Paran travaille directement sous les ordres de l’adjointe de l’impératrice, et mène une enquête depuis 2 ans qui le mènera à croiser les routes des Brûleurs de Ponts et de la magicienne Loquevoile. Une chose est sûr, prévoir à l’avance le destin de chacun est compliqué tant l’auteur brouille les cartes… du Jeux du Dragons (référence à un jeu divinatoire propre à l’histoire).

les différents groupes s’articulent essentiellement autour des différentes ethnies, et bien que des alliances existent entre certaines d’entre elles, elles ont chacune des buts, ce qui crée forcément de la duplicité entre certains protagonistes. Toutes ne sont pas militaires loin s’en faut, mais pour les habitués de jeu de rôle vous reconnaîtrez sans aucun doute en quoi l’oeuvre est reliée à la pratique rôliste au travers des différentes guildes et autres groupes d’individus inhérent à la vie d’une ville médiévale-Fantastique que vous croiserez. A ce sujet la ville de Darujhistan, cadre d’une bonne partie du livre est somptueuse, bien créée, et permet une immersion assez intense. J’y ai retrouvé l’ambiance un peu florentine d’Assassin’s Creed 2 pour les connaisseurs, bien que l’architecture y soit totalement différente.

Comme pour l’univers qui possède ses cartes géographiques en début de livre, nous avons le droit à un index des personnages ainsi qu’un glossaire en fin de volume qui nous permettent de mieux nous y retrouver au milieu de tous ces personnages et les différentes organisations. On peut donc saluer le travail de l’éditeur qui ne sacrifie pas la rentabilité au confort de ses lecteurs. Un mot comme toujours aussi sur la sublime couverture qui est signée Marc Simonetti, il a entre autre illustré le Trône de Fer, ainsi que des auteurs tels que Robin Hobb, nous n’avons plus besoin de le présenter tant il est une fierté nationale. Cette dernière est somptueuse dans des teintes jaune poussière, rappelant l’âpreté des combats. Je ne vous dévoilerai pas de quelle scène il s’agit car si vous êtes comme moi, vous aimerez découvrir lors de votre lecture le moment où l’illustration rencontre les mots.

Conclusion

Ce premier tome qui est en même temps le plus petit paru à ce jour en français (640 pages) est une entrée en matière dynamique et très visuelle. Conçu à la base pour le cinéma, plusieurs séquences raviront les amateurs d’effets spéciaux et explosions en tout genre. Son début in media res plonge le lecteur au cœur de l’action dès l’ouverture, ce qui peut sembler complexe pour certains car les informations, le contexte ne se mettront en place qu’au fur et à mesure de l’histoire. Mais c’est bien cette narration, combinée à la richesse du canevas tissé en arrière plan et dont la compréhension parcellaire amplifie la magie de la découverte et du voyage, qui crée un ensemble grandiose, épique, dans le sens le plus noble du mot, et dont nous attendons avec impatience que la suite se dévoile sous nos yeux ébahis.

La Note:

10/10

J’espère que mon article vous aura donné envie de faire un bout de chemin avec les brûleurs de ponts Malazéens, et que vous avez pu ressentir mon émerveillement et la passion qui m’ont transporté tout au long de cette lecture. Cet univers m’a tellement subjugué que j’ai lu les 3 tomes déjà parus à la suite. Je vous souhaite de connaitre le même plaisir que moi si d’aventure vous vous engagiez sur les routes de Genabackis et je remercie encore les protagonistes de la version française pour le dévouement dont ils font preuve dans la promotion de cet oeuvre magistrale.

Pour les intéressés: https://editions-leha.com/catalogue-details/martyrs-t1-les-jardins-de-la-lune/

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Bonsai!

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