Hello There !
Nous quittons un instant les rivages de l’horreur et de la folie Kinguienne que je parcours depuis un mois pour aborder les terres paisibles et reposantes de Philip K. Dick.
Naaann, je plaisante. Le bonhomme est encore plus dérangé que Steve. Philip K. Dick, un nom qui représente beaucoup de choses dans le domaine de la science fiction. Connu aujourd’hui du grand public essentiellement pour des films tels que Blade Runner, ou encore Minority Report, seuls quelques acharnés fanatiques savent réellement qui il est et de quoi est constitué l’essence de son oeuvre. Nous voici encore en présence d’un auteur qui malheureusement n’aura pas eu beaucoup de succès de son vivant et n’atteindra jamais la stabilité qu’il désirait. À la fois paranoïaque, schizophrène pour certains – ce qui n’est en aucun cas avéré –, il chercha à apaiser toute sa vie un mal-être qui le rongeait. Que ce soit au travers des drogues ou de l’écriture, il ne réussit seulement qu’à atténuer cette douleur sourde au fond de lui. Celui qui écrivait « Si vous trouvez ce monde mauvais, vous devriez en voir quelques autres » n’a cessé de clamer haut et fort que notre monde n’était pas la réalité, qu’il n’était qu’une surface d’apparence. Auteur à l’atmosphère glauque et futuriste, aux multiples grilles de lecture tant son oeuvre est pleine et complexe, il inspira la mode du Cyberpunk bien qu’il ne la vit jamais puisqu’il mourut en 1982 à l’âge de 53 ans d’un AVC suivi d’une défaillance cardiaque. il entraîna dans son sillage la naissance de toute une série d’œuvres futuristes et philosophiques comme Matrix, où la réalité est remise en cause à tel point que des chercheurs actuellement tentent de prouver que nous ne sommes pas dans la matrice. En 1962, il publia Le Maître du Haut Château, une uchronie. Ce premier succès sera récompensé du Prix Hugo l’année suivante.

Quatrième de couverture :
En 1947 avait eu lieu la capitulation des alliés devant les forces de l’axe. Cependant que Hitler avait imposé la tyrannie nazie à l’est des Etats-Unis, l’ouest avait été attribué aux japonais. Quelques années plus tard la vie avait repris son cours normal dans la zone occupée par les nippons. Ils avaient apporté avec eux l’usage du Yi-King, le livre des transformations du célèbre oracle chinois dont l’origine se perd dans la nuit des temps.
Pourtant, dans cette nouvelle civilisation une rumeur étrange vint à circuler. Un homme vivant dans un haut château, un écrivain de science-fiction, aurait écrit un ouvrage racontant la victoire des alliés en 1945…
Mon avis :
Je ne vous dévoilerai pas la trame du livre, ce qui à mon sens ne ferait peut-être que vous embrouiller, car de ce que je sais la plupart des lecteurs ressortent avec un avis mitigé de ce roman. Pour ma part, je l’ai adoré : en tant que fan d’Histoire et plus précisément de la seconde guerre mondiale dont j’ai fait ma spécialité, j’aime jouer au jeu des « Et si ? » Ce livre est un Et si qui a pour point de divergence l’attentat manqué en 1933 contre Franklin Delano Roosevelt, président des USA de 1933 à 1945. Mais le contexte historique, si savoureux quand on a toutes les références aux évènements auxquels il se réfère, n’est qu’un fond miroitant, mettant en relief le vrai sujet du livre : qu’est-ce que la réalité ? À l’intérieur se dessinent deux réalités, une uchronie dans l’uchronie. Si on y ajoute la notre, notre monde, cela en fait trois. De quoi donner le tournis au lecteur.
Les fous sont aux pouvoir, mais combien sommes-nous à le savoir ?
Le Maître du Haut Château Philip K. Dick
La connaissance du conflit de la seconde guerre mondiale par l’auteur et impressionnante, fouillée, travaillée, il envisage toutes les possibilités que n’importe quel wargamer s’amuse à rejouer. Il parle de la conquête de l’Angleterre, de la bataille du désert de la victoire de Stalingrad pour l’Axe. Et pour mieux nous présenter sa réalité, il nous propose de suivre la vie monotone et totalement banale de plusieurs personnages au cœur de ce monde dans les années 1960 sur la côte ouest, nouvelle zone d’occupation des japonais, les allemands s’étant accaparé l’est. Nous y suivons leur quotidien, leurs aspirations. Le fait que des Américains de l’Ouest traitent les Chinois de sous-race de la même manière que les japonais le font montre à quel point on embrasse vite les pratiques des vainqueurs. L’auteur manie l’ironie avec subtilité, jouant sur les clichés nationaux et raciaux, allant jusqu’à dénoncer l’attitude même des réels vainqueurs de la seconde guerre mondiale par effet de contre balance. Sa critique raciale n’a qu’un seul but : renforcer la haine du racisme ou plutôt le dénoncer.
Le sang n’est pas comme l’encre, rien ne peut en effacer les taches. (Tagomi)
Le Maître du Haut Château Philip K. Dick
Je dirais surtout qu’ un des messages principaux de l’auteur est que, quelle que soit la trame de l’histoire, la guerre est horrible, elle est violence, elle est horreur, elle est abjecte. Il nous décrit un monde post conflit où les japonais font preuve d’une certaine morale, une esthétique, là où les nazis sont efficaces, froid. Au milieu de tout ça, les protagonistes du livre s’en remettent énormément à une pratique de divination importée par les japonais, le Yi King, permettant de demander son avenir afin de faire le meilleur choix. Comme si les hommes et les femmes n’étaient plus capable de prendre une décision après tant de totalitarisme. Pour la petite histoire, K. Dick aurait lui même utilisé le Yi King pour la rédaction de son livre, avec quel impact sur la trame ? Je ne saurais dire.
Et l’uchronie dans l’uchronie me direz-vous ?
Il s’agit d’un livre intitulé Le Poid de la Sauterelle écrit par un auteur vivant reclus dans un château en hauteur. Si ce dernier dans son roman envisage que l’Angleterre est le grand gagnant de la guerre contrairement aux USA et Soviétiques de notre réalité, c’est aussi parce que dans cette trame historique Roosevelt n’a pas été président des États-Unis pendant la seconde guerre mondiale, victime d’un assassinat. Par là même, il nous montre que plusieurs futurs auraient pu être possibles dans cette grande période trouble. Quand on sait que le monde a, pendant 60 ans après la seconde guerre mondiale, été façonné par les grands vainqueurs de ce conflit, ça fait réfléchir.
Néanmoins, la peur du communisme – La Guerre Froide battait son plein au début des années 60 – permet à K.Dick de justifier une victoire de l’Allemagne, nécessaire pour le monde, dans la voix du jeune protagoniste italien Joe. On pourrait croire qu’il l’aurait presque souhaité mais il n’en est rien puisqu’il aborde la notion même de populisme, en décrivant comment des bourgeois ont monté le peuple contre d’autres bourgeois riches et financiers en vantant la valeur du travail par-dessus celle de l’intellectualisme : c’est le terreau fertile de tout extrémisme, monter les gens les uns contre les autres, et affaiblir les élites capables de modération et de réflexion.
Finalement, ce roman, au travers de la déformation de la réalité, lui permet une critique acerbe du fonctionnement du monde, dévoilant à tous que les systèmes sont tous imparfaits, que certains sont pires que l’actuel, mais surtout que ceux qui se retrouvent toujours dans la tourmente se situent au bas de l’échelle et supportent tout – caractérisés ici par les protagonistes du livre.
Il montre surtout que le temps est en quelque sorte un gruyère et qu’on peut à n’importe quel moment s’engouffrer dans un de ces trous et se retrouver sur une autre face avec une autre réalité. Alors faites bien attention où vous mettez les pieds, allez savoir, si les livres ne sont pas ces trous de gruyère, prêts à vous aspirer…
Conclusion :
J’ai passé un excellent moment avec ce livre. Assez fan d’uchronie, celle-ci est beaucoup plus dérangeante car elle laisse entendre que plusieurs réalités cohabitent à différents niveaux, qu’elles peuvent même être imbriquées les unes dans les autres. Premier succès de l’auteur, son prix n’est pas usurpé, pour autant lire ce récit demandera peut-être quelques connaissances historiques ainsi qu’un peu d’effort intellectuel pour réellement appréhender toute la profondeur de l’oeuvre.
Si vous êtes fan de ce genre d’oeuvre, je ne peux que vous recommander les livres de l’excellent Robert Harris, et notamment Fatherland qui propose une thématique similaire – l’Allemagne a gagné la guerre – mais se déroule en Allemagne pour un final renversant : un must. Il faut que je le relise tiens, en attendant vous pouvez voir la chronique d’Hildr’s World sur ce livre.
Note : 8,5/10
À noter qu’il s’agissait une lecture audible, mais que je la déconseillerais à ceux qui ne maitrisent peut-être pas tous les lieux et évènements propres à la seconde guerre mondiale, le voir écrit est parfois plus facile à retrouver, si comme moi vous aimez faire des recherches pendant vos lectures afin de vous enrichir culturellement.
Ce qu’on en dit ailleurs : Hildr
Bonsai!
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