Revue Littéraire : Intégrale Lovecraft, Tome 1 : Les Contrées du Rêve aux éditions Mnénos

Hello There !

Ce soir, la tempête balaie les murs extérieurs de ma ville alors que la nuit enveloppe tout de son linceul de ténèbres. Le vent roule, se contorsionne, hurle et frappe sous les rebords du toit tandis que la pluie fouette et tapisse mes carreaux. Au travers, le paysage se liquéfie, parsemé de goutelettes scintillantes telles des milliers d’étoiles, et d’autant de coulées multicolores aux reflets oniriques. Malgré ce déchainement de fureur, sur mon bureau, une bougie famélique éclaire mon clavier, sa lumière vacillante vient parfois caresser les pieds d’un Cthulhu assis sur son trône qui me surveille à moitié endormi de sous mon écran. Mon carnet de notes et mon livre à portée de main, c’est avec un sourire malicieux que je m’apprête à rédiger cette revue. Howard Phillips Lovecraft. On peut dire qu’il a les honneurs de mon blog dernièrement, et c’est avec un plaisir non dissimulé que je poursuis cette série d’articles qui verra tous les volumes de Mnémos chroniqués. Il le mérite. Ma première revue à son sujet remonte à une lecture audio faite en 2018 du texte l’Appel de Cthulhu tiré de l’intégrale de Bragelonne qui à l’époque était le premier effort de publication assez complet tentant de regrouper tous ses textes importants en une édition unique. Puis j’avais fait le choix de parler du tome 2 de cette série intégrale, alors qu’on trouvait beaucoup plus d’éléments sur la blogosphère en rapport avec le premier tome. J’en étais à ma découverte de l’auteur, je ne savais pas vraiment vers quel type d’édition me diriger, d’ailleurs il y a beaucoup d’éléments de ces premières chroniques que je vais enfin pouvoir réviser à travers cette série d’articles, mes analyses n’étaient pas toujours justes. Mes recherches s’affinant – entre temps j’avais terminé de lire les 3 premiers tomes édités chez Bragelonne et il ne me restait plus que le quatrième concernant les contrées du rêves – je découvris un peu tard que Mnémos avait fait un financement participatif afin de retraduire tout Lovecraft en un magnifique coffret de 7 volumes. Manque de chance, j’avais loupé le train. J’allais devoir attendre la sortie dudit coffret en espérant qu’il en resterait. Ce ne fut pas le cas, mais la maison d’édition allait faire mon bonheur : ils annonçaient la publication de chaque tome séparemment dès 2022. Bingo ! L’occasion était trop belle d’autant plus que le premier tome en question contenait les textes que je n’avais pas encore lus : Les Contrées du Rêves. Alors, êtes-vous prêt à descendre avec moi les soixante-dix marches menant à la caverne de la flamme pour rencontrer Nasht et Kaman-Thah, les prêtres barbus ?

Quatrième de couverture :

Parallèlement à ses textes regroupés par la suite sous l’intitulé du Mythe de Cthulhu, H.P. Lovecraft a créé tout un univers onirique, une contrée sauvage et magique. Découvrant ses démons et ses beautés, ses cités aux merveilleuses flèches d’or, ses falaises d’onyx ou ses mers crépusculaires, Randolph Carter, le double littéraire de l’auteur, poursuit une quête sans fin, celle de Kadath l’inconnue.

Pour la première fois en France, l’intégrale de l’œuvre de fiction de Lovecraft est publiée dans une traduction unifiée, réalisée par David Camus, qui a consacré dix ans à ce chantier. Cette édition en sept tomes est complétée d’un large choix d’essais, de correspondances, de poésies et de textes révisés par l’écrivain, de cartes en couleurs, ainsi que d’études et de très nombreuses notes par les meilleurs experts de l’œuvre.

Textes de Lovecraft contenus dans ce volume : La Quête d’Iranon (The Quest of Iranon), Polaris (Polaris), La Malédiction qui s’abattit sur Sarnath (The Doom That Came to Sarnath), Hypnos (Hypnos), L’Étrange maison haute dans la brume (The Strange High House in the Mist), Le Bateau blanc (The White Ship), Celephaïs (Celephaïs), Ex Oblivione (Ex Oblivione), Ce qu’apporte la lune (What the Moon Brings), Le Livre ( The Book), Les Chats d’Ulthar (The Cats of Ulthar), Les Autres Dieux (The Other Gods), Le Témoignage de Randolph Carter (The Statement of Randolph Carter), La Quête onirique de Kadath l’Inconnue (The Dream-Quest of Unknown Kadath), La Clé d’argent (The Silver Key), À Travers les portes de la clé d’argent (Through the Gates of the Silver Key), Azathoth (Azathoth).

Mon avis :

Cette édition intégrale possède un écrin somptueux qui ne cesse de me ravir, moi l’amoureux des livres. Couverture rigide, dos élégant, que je préfère en blanc d’ailleurs comme ma présente édition plutôt que le noir du coffret intégral (mais ce n’est qu’une question de goûts), double pages de garde intérieures décorées d’une magnifique carte des Contrées du Rêve en couleur, et un papier à l’épaisseur idéale, le tout pour une prise en main agréable. Même si HPL disait lui-même que l’objet-livre ne comptait pas, seulement son contenu, je ne peux tout de même que m’extasier devant cette finition de qualité qui se veut à la hauteur de l’oeuvre de l’auteur de Providence. Indéniablement, cette édition surpasse tout ce qui a été fait jusqu’ici en France, que ce soit dans la finition, l’esthétique, mais surtout dans la traduction et l’agencement des récits et contes. Ce recueil ainsi que le second n’ont pas été totalement le fruit du Crowdfunding. En effet le travail avait commencé en 2010 avec une première édition de ces Contrées du Rêve qui a servi de base. Après une introduction générale de l’intention de cette nouvelle traduction par David Camus, nous avons deux préfaces, celle de la première édition, suivie d’un addendum pour le présent livre. Elle nous donne le ton de ce recueil, les enjeux, et ce que le traducteur a tenté modestement de rendre à César – surnom que Lovecraft n’aurait pas renié lui qui se faisait appeler Lucius le romain. Trois textes viennent compléter la version publiée en 2010 : Ex Oblivione, Ce qu’apporte la lune et Le Livre, pour un total de 17 entrées.

Dans chacun des autres volumes de l’intégrale, l’ordre chronologique d’écriture des textes a été privilégié, mais il n’en va pas de même pour celui-ci. David camus nous en explique la raison en préface :

Ici, le parcours – puisqu’il s’agit, dans tous les cas, d’une proposition de voyage – emprunte la temporalité des rêves, qui n’est pas toujours chronologique. Les œuvres sont donc présentées dans l’ordre qui nous a paru offrir la meilleure expérience de lecture – ou onirique, si vous préférez. Une expérience qui débute par « La Quête d’Iranon », dont les décors évoquent l’Antiquité, et se prolonge, en passant par les temps modernes, jusqu’au voyage entrepris par Carter au sein même de ces Contrées, où il recherche Kadath.

David Camus

Voilà l’itinéraire tracé, nous n’avons plus qu’à nous allonger tranquillement, la tête bien calée sur notre oreiller et à sombrer au pays des rêves pour y retrouver toute la féérie onirique déployée par Lovecraft. Mais que nous raconte ces textes ? Qu’évoquent-ils ? Et pourquoi les avoir regroupés ensemble ? Je vous propose de découvrir mes notes de lectures dans leur état brut afin de vous faire une idée.

  • La quête d’Iranon : On dirait du Tolkien dans sa poésie aux accents antiques, aux noms chatoyants. La morale de la quête d’Iranon c’est que lorsqu’on perd ses rêves on meurt. Le rêve rend éternel et le beau repousse la mort. C’est aussi une métaphore du passage à l’âge adulte selon moi.
  • Polaris : Rêve et réalité se confondent à la lueur des étoiles. Où commence le rêve ? Où finit la réalité ? Le rêve est une porte entre les mondes? Rythme, conception, figures de style et vocabulaire poétique, tout y est. Un de mes préférés. La passivité du héros est une métaphore à peine voilée du sentiment d’inutilité de Lovecraft pendant la WW1 alors qu’il ne put rejoindre un bataillon d’engagement pour des raisons de santé. 
  • La Malédiction qui s’abattit sur Sarnath : remake de Sodom et Gomorrhe avec de belles descriptions qui perdent le lecteur, alors que la finalité est présente dès le début. Thème (étonnant ?) de Lovecraft sur la peur de l’autre, de l’inconnu.
  • Hypnos : il pose les jalons de la suite de son œuvre avec « l’indescriptible » laissant l’imagination du lecteur faire le reste. Voyage astral ? A-t-il réellement un ami ? Le rencontre-t-il réellement à la gare ou s’agit-il déjà de sa statue ? Encore une fois perte du réel. Peur du vieillissement et de la mort.
  • L’étrange Maison Haute dans la Brume : Conte onirique, symbolique du chemin vers le rêve (on monte), histoire d’ambiance avant tout. première nouvelle où nous apercevons la ville de Kingsport qui n’est autre que la transcription de la cité de Marblehead dans le Massachusetts avec ses maisons de style coloniale qu’affectionnait particulièrement HPL.
  • Le Bateau Blanc : Quête onirique d’un royaume mais les présages sont trompeurs. Et la mort ou le désespoir guette celui qui veut trop savoir.
  • Celephais : Encore une fois le rêve rend fou et aveugle. Il peut conduire un homme de la misère au suicide en cherchant à braver l’interdit.
  • Ex Oblivione : Les drogues pour oublier le monde, rêver et mourir.
  • Ce qu’apporte la lune : Plutôt la mort dans l’horreur que la folie et la peur. Comme souvent tout démarre bien, le décor est bucolique puis l’horreur et la nécrose s’installent.
  • Le livre : Occultisme mystique, livre magique ouvrant sur d’autres dimensions de l’espace. j’adore!!
  • Les chats d’Ulthar : Conte onirique incroyable, montrant toute l’affection que HPL portait aux chats qui le lui rendaient bien.
  • Les autres Dieux : Texte relatant l’histoire d’un soi-disant sage voulant percer le secret des dieux dans les royaumes oniriques, à chacun d’y voir une morale.
  • Le témoignage de Randolph Carter : Excellent texte à l’ambiance crypte et cimetière, comme dans le molosse, précurseur aussi à mon sens de Charles Dexter Ward. J’adore !
  • La quête onirique de Kadath l’inconnue : Presque un roman, un voyage au bout du rêve. Suite d’aventures, digne d’un jeu de rôle, où il réintègre énormément de thèmes et de personnages déjà révélés dans d’autres textes (Pickman, les Chat D’Ulthar, les ruines de Sarnath, etc)
  • La Clé D’argent : Un conte sur l’enfance, l’âge des rêves que Carter s’efforce de retrouver par tous les moyens.
  • À travers les portes de la clé d’argent : Cette suite écrite sur l’insistance de Hoffman est beaucoup moins bonne que la précédente. L’influence de Lovecraft m’y semble mineure tant les ficelles sont grosses et peu poétique.
  • Azatoth : Un de mes poèmes en prose favori que j’avais déjà cité lors de la revue du tome 2 du Mythe par Brage.

Il m’est difficile de choisir mes textes préférés tant j’ai été envouté tout le long de ma lecture. Un voyage sublime, d’une poésie incroyable qui pose un contraste saisissant avec les textes qui traitent de l’horreur cosmique et pour lesquels il est plus connu. Ici le fantastique se veut féérique, onirique, et l’auteur nous y livre une prose poétique à bien des égards. Il m’est plus aisé de vous dire plutôt ceux qui m’ont moins marqué sur ce recueil, comme À travers les portes de la clé d’argent, qui d’ailleurs est le fruit d’une collaboration que Lovecraft n’avait pas vraiment souhaité, ne voulant pas apporter de suite à La Clé d’Argent. Les textes sont inégaux en terme de longueurs, certains allant de quelques pages tandis que d’autres comme La quête onirique de Kadath l’inconnue font la taille d’un roman, et quel roman, malgré certaines redondances ! Nous sommes à la limite de l’oeuvre de Fantasy. Je dirais tout de même que j’ai une affection toute particulière pour Polaris, Celephais, Le livre qui semble avoir été une tentative de retranscrire en prose les Fungi de Yuggoth, un ensemble de sonnets poétiques, Le témoignage de Randolph Carter pour son côté macabre et suggestif, La Clé D’argent pour sa quête du monde de l’enfance qui nous est à jamais perdu, et Azatoth pour sa sublime poésie colorée. Je pourrai rajouter La Quête d’Iranon, L’étrange Maison Haute dans la Brume, Le bateau Blanc et bien évidemment La quête Onirique de Kadath L’Inconnue chacune cultivant l’étrange et le surnaturel mais possédant bien souvent une morale ou un message caché. David Camus nous dit à juste titre que Lovecraft, ne cesse de nous échapper pour mieux nous envelopper. En tout cas aujourd’hui il ne peut plus fuir sa renommée, bien qu’il arriverait encore à tourner ça en dérision, voire à croire que tout ceci n’est qu’un rêve.

Conclusion

David Camus nous livre une traduction très pure, au plus proche de la version originale, qui m’a fait redécouvrir Lovecraft. Sa préface nous donne les pistes de lecture à suivre, les chemins cachés au détour d’une phrase, d’un titre, et il peut être intéressant pour vous de la relire à posteriori une fois le voyage terminé comme moi je l’ai fait, car certains éléments ont un sens nouveau. Les notes de bas de pages qui parsèment le tout facilitent la compréhension globale et sont un véritable plus. Ici, Lovecraft n’est pas traité comme un auteur à la mode qui fait gagner de l’argent, mais bien comme un artiste, un esthète de la littérature à l’univers complexe et magique qui mérite d’avoir une traduction à la hauteur de son talent. Mnémos y ajoute un écrin de très belle facture qui rend le voyage d’autant plus agréable. L’hommage et le respect de l’oeuvre sont perceptibles à tous les niveaux, ce qui semble bien être l’objectif de cette présente édition, validé de bien belle manière. Et si d’avenir on me demandait quelle édition je recommande pour découvrir Lovecraft, je répondrai sans détour (désolé pour le jeu de mot, les fans du JDR comprendront) : l’intégrale MNÉMOS.

Note : 10/10

Ce qu’on en dit ailleurs : Albédo Au Pays des Cave Trolls

Ainsi s’achève notre ballade onirique, le réveil approche, on se retrouve très bientôt pour la suite des revues sur cette intégrale, en attendant, rendez-vous sur les chemins des Contrées du rêves, en bon rêveur que nous sommes, lecteurs d’imaginaire.

Bonsai!

Toutes les images présentées dans cet article sont la propriété exclusive de leurs auteurs.

4 réflexions sur “Revue Littéraire : Intégrale Lovecraft, Tome 1 : Les Contrées du Rêve aux éditions Mnénos

  1. Parfaitement en accord avec ce que tu en dis, ce premier tome est incontournable. Les préfaces de Camus participent à une impression de remarquable.
    Ce qui est personnellement agréable, c’est que je l’ai lu et que je connaissais déjà bien les lieux, leurs mystères et dangers, j’étais Gardien lors d’un campagne dans les Contrées, Le sens de l’escamoteur. Mes joueurs ont adoré!

    Aimé par 1 personne

    • Ah.. je n’ai été joueur qu’une seul fois sur Cthulhu, il y a deux ans.. et quelle partie..j’en garde un souvenir énorme. On devait faire les masques et puis.. voilà ça ne s’est pas fait. Je rêverais de retrouver cette ambiance, même si pour le coup celle des Contrées doit-être plus proche de la Fantasy non ?

      Aimé par 1 personne

      • Oui, c’est proche, mais c’est bien plus aussi!
        Les Masques, je suis Gardien de cette campagne en ce moment!
        Je t’inviterai sur une partie si cela te tente – en virtuel.

        J’aime

  2. Pingback: Les Contrées du Rêve – Lovecraft – Albédo

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